Calumniation Game ?
Sorti le 8 juillet sur PC, PS4, PS5 et Switch, YuruKill : The Calumniation Game est un jeu qui m’a énormément enthousiasmé depuis sa révélation. Annoncé comme un Survival Game scénarisé par l’auteur de l’excellent manga Gambling School, le jeu est présenté comme étant un hybride entre le Visual Novel, l’Escape Game et le… Shoot’em Up. Ce mélange vraiment atypique a de quoi faire lever les sourcils, mais il est aussi diablement original et donc très attirant. A juste titre ?
YuruKill : The Calumniation Game raconte l’histoire de cinq détenus qui sont transportés en bateau jusqu’à une île où se trouve YuruKill Land, un étrange et sordide parc d’attractions. Le maître du jeu, une femme au masque de renard et aux répliques extravagantes nommée Binko, présente à chaque prisonnier son partenaire qui prend le titre “d’exécuteur”. Ces binômes fraîchement formés doivent collaborer pour arpenter des attractions qui sont des reconstitutions de décors en lien avec le motif de l’inculpation des détenus. Tel un Survival Game, les personnages risquent leur vie lors de cette compétition au terme de laquelle il n’y aura qu’un seul vainqueur.
Il faut explorer ces pièces tout en résolvant des énigmes et des puzzles comme dans un escape game : par exemple, trouver un code pour ouvrir un coffre grâce à des indices disséminés dans le décor.
Les exécuteurs sont aussi intimement liés à ces crimes, et leur statut leur octroie le droit de tuer instantanément le prisonnier qu’ils accompagnent. Il faudra parfois savoir les raisonner lors de phases de dialogues assez stressantes qui peuvent facilement mener à un Game Over instantané.
Si le prisonnier n’est pas encore mort et qu’il a su résoudre toutes les énigmes sur son chemin, il pourra finalement se retrouver dans la RC, la Réalité Cérébrale, afin de …piloter un vaisseau spatial dans une phase de Shoot’em Up pour combattre son exécuteur. S’il parvient à survivre et à vaincre une multitude d’ennemis ainsi que le boss, il peut pénétrer dans l’esprit de son interlocuteur pour tenter de le raisonner, en contournant ses préjugés et ses pensées.
C’est ainsi que se déroule chacun des 7 chapitres de YuruKill jusqu’au fin mot de l’histoire après une quinzaine d’heures de jeu.
Le mélange semble quand même relativement peu homogène, c’est pourquoi il est important de traiter chaque ingrédient du jeu indépendamment avant de voir si la recette fonctionne sur le fond et surtout sur la forme.
Survival Game ?
Dans ma carrière de gamer, il y a quelques œuvres qui m’ont particulièrement fait vibrer. Je pense notamment aux Danganronpa et aux Zero Escape (The Nonary Games). Ce sont des expériences qui ont, en partie, démocratisé les Survival Game, ces récits où un groupe de personnes est forcé de participer à une expérience, souvent sous forme de jeu, pour sortir d’un complexe tout en démêlant une intrigue généralement tarabiscotée. Les participants sont sous la surveillance d’une sorte de personnage autant farfelu que cruel qui pilote le jeu, c’est devenu une marque de fabrique. Dans YuruKill, c’est Binko qui occupe ce rôle.
Sans aborder le gameplay de ces jeux, il faut commencer par souligner que leur scénario est est leur atout principal grâce à des twists haletants et des fins en apothéose pleines de révélations inattendues.
Si je m’attarde sur ces deux jeux, c’est parce que YuruKill se place directement comme concurrent dans l’univers des Survival Game avec son concept scénaristique qui se trouve quelque part entre ceux de Danganronpa et de Zero Escape.
Sans atteindre la qualité, ni la complexité de ces exemples que je vous recommande chaudement d’essayer, YuruKill offre une histoire qui parvient à maintenir l’intérêt durant toute l’aventure pour finir avec une conclusion plutôt épique et pleine de rebondissement comme le veut le genre, malgré de gros problèmes de rythme. C’est pourquoi, d’un point de vue purement scénaristique, malgré quelques facilités, l’expérience est intéressante, notamment grâce à cette fin qui est particulièrement satisfaisante.
Pour faire avancer leurs intrigues, tous ces jeux optent pour des approches bien différentes au niveau du gameplay, mais qui fonctionnent. Est-ce aussi le cas pour YuruKill ?
Visual Novel ?
Pour reprendre l’exemple de Danganronpa, celui-ci lorgne du côté de l’enquête, la recherche d’indices pour que le joueur puisse s’en sortir dans une sorte de tribunal lors d’une confrontation verbale où il présentera ses preuves (à l’image d’un jeu Ace Attorney, par exemple).
Ce genre de jeu mise sur l’observation, la déduction et la logique pour amener le joueur à faire des liens et des conclusions. Malheureusement, YuruKill passe totalement à côté de cet aspect en offrant un nombre très restreint d’environnements à visiter, et le peu restant est particulièrement timide en termes d’éléments avec lesquels interagir. De plus, les protagonistes mâchent 80% du travail de réflexion avant de laisser le choix (ou l’illusion du choix) au joueur.
Finalement, ce sentiment d’être intelligent en ayant fait un lien logique se transforme en désagréable sentiment d’avoir été pris par la main. De plus, la qualité de ces phases étant parfaitement inégale, parfois la réponse attendue n’est absolument pas logique, et mène à ce fameux game over instantané. Mais pas de panique, le scénario est unidirectionnel. Si le Game Over survient, il n’y a qu’à recharger sa sauvegarde et choisir la réponse escomptée.
Escape Game ?
Reprenons l’exemple de Zero Escape, cette trilogie puise son gameplay davantage dans le principe d’escape game, ces salles sont très à la mode dans le monde réel. Il faut en sortir avant le temps imparti en résolvant des énigmes et des puzzles. Concept dont je suis personnellement très friand, j’ai participé à plus d’une trentaine de salles partout dans le monde. Mes attentes sont donc élevées quand ce type d’expérience se retrouve sous forme de jeu vidéo, où les limites de ce qu’il est possible de faire sont quasiment inexistantes. Et quand c’est bien fait, c’est sensé être absolument grisant. Mais c’est loin d’être le cas dans YuruKill.
Comme mentionné précédemment, les interactions possibles dans les salles sont plus que limitées. Là où c’était déjà décevant d’un point de vue jeu d’observation et enquête, c’est simplement catastrophique pour un escape game. Les indices sont disposés de manière absolument peu subtile, ce qui soulève un problème de cohérence quand plusieurs groupes se trouvent dans la même pièce mais qu’ils ne trouvent rien d’intéressant, en attendant que ce soit le joueur qui ramasse ce papier annoté par terre au milieu d’une pièce vide. Mais malheureusement, le pire reste à venir : la résolution des énigmes et des puzzles.
Généralement, un seul puzzle ou code à déchiffrer est présent par salle. Outre le fait que c’est déjà très peu, on pourrait se consoler sur de la qualité au lieu de la quantité. Mais, ce n’est pas le cas. Les énigmes sont rudimentaires, voire ridicules. Prenons l’exemple de 7 objets de couleurs différentes qui sont dans le désordre, et juste à côté il y a la photo d’un arc-en-ciel qui attire énormément l’attention du protagoniste, vous l’aurez compris, le niveau de difficulté et de réflexion est proche du néant. Et c’est vraiment dommage, car si les puzzles n’étaient pas dignes d’un cahier de vacances pour les 6-8 ans, l’expérience aurait pu être excellente. Une gestion assez désastreuse de l’UX de certains puzzles est également à déplorer.
Le jeu n’a pas vraiment l’air d’avoir compris ce qui rend un escape game excitant, même quand les protagonistes doivent s’en sortir en un temps donné (mécanique cruciale des escape game), tout est scripté et le sentiment d’urgence est simplement inexistant.
Finalement, ces puzzles dignes d’Adibou qui essaie de se prendre pour Professeur Layton ont l’avantage d’être résolus en quelques secondes, ce qui permet de rester immergé dans le récit et l’aspect visual novel. Créer ce genre d’expérience et puzzles est une maîtrise qui n’est pas acquise par tous les Game Designers, et c’est le cas d’Izanagi Games, qui ont visiblement préféré concentrer leur énergie et compétences ailleurs : Le Shoot’em Up. Est-ce suffisant pour sauver le jeu à ce stade ?
Shoot’em Up ?
Qu’est-ce qu’un Shoot’em Up ? Roi des salles d’arcades de l’époque où chaque “continue” coûtait une pièce de 10 francs français (on se sent vieux tout à coup), c’est un genre de jeu dans lequel le joueur est au commandes d’un engin volant, généralement un vaisseau spatial, et progresse, soit horizontalement soit verticalement, en explosant des vagues d’ennemis tout en récupérant des améliorations pour augmenter la force de frappe de notre véhicule. Mais souvent, le moindre impact est fatal pour notre vaisseau, et on perd une partie des améliorations récupérées. Le Shoot’em Up force donc à jouer de manière prudente, et efficace pour avoir le meilleur score. Même si les salles d’arcades sont de plus en plus rares en dehors du japon, c’est un genre de jeu qui reste ancré dans le cœur des joueurs nostalgiques ou amateurs de challenge relevé. De plus en plus frénétiques, les Shoot’em Up deviennent des “Bullet Hell” (enfer de projectiles) où il faut slalomer entre des milliers de tirs adverses au millimètre prêt. Des jeux comme Gradius, Ikaruga ou encore Radiant Silvergun sont des références du genre, et de nombreux studios de jeu tentent de proposer leur version du concept.
Les personnages de YuruKill sont tout autant étonnés que vous et moi de la présence de ces phases de jeu dans leurs péripéties. Fort heureusement, le jeu commence directement avec un niveau tutoriel pour offrir déjà un petit aperçu au joueur de ce qui l’attend. Malgré les 7 écrans surchargés de textes à apprendre par cœur mais difficilement compréhensibles qui défilent avant de laisser le contrôle au joueur, la prise en main se fait de manière assez intuitive et immédiate. Et les sensations de jeu sont très bonnes.
Les mécaniques propres aux codes du Shoot’em Up sont respectées et le plaisir de jeu est bien présent. Malgré des niveaux trop courts et une visibilité parfois peu optimale menant à des échecs bêtes, ces phases sont plaisantes. Les combats de boss offrent un challenge relevé (parfois un peu déséquilibré en comparaison avec le reste). Les différents vaisseaux des protagonistes ont chacun leurs spécificités qui apportent une petite dimension supplémentaire au jeu, bien qu’ils ne changent pas fondamentalement le gameplay. Il y a 4 engins différents à piloter, mais la répartition est assez inégale, sachant que c’est le premier vaisseau qui est imposé durant la majorité de ces phases.
Le travail sur le gameplay et l’expérience de jeu est visiblement beaucoup plus poussés sur ces phases de Shoot’em Up que sur le reste de l’aventure. D’ailleurs, malgré quelques éléments visuels reconnaissables, ces phases n’ont pas grand chose en commun avec les événements et décors de l’histoire. L’aventure n’était-elle finalement qu’un prétexte, un habillage pour accompagner cette facette de YuruKill, qui est d’ailleurs par la suite jouable indépendamment de tout le côté Visual Novel, Escape Game et Quizz..? Oui et non.
Quizz ?
Un détail que j’ai évoqué en parlant du côté Visual Novel était la présence de choix logique à faire durant les phases d’enquête et de déduction. Mais il y a un autre aspect qui vérifie cette fois les connaissances du joueur, un peu comme un petite interro pour vérifier qu’il a bien été attentif durant toute l’histoire. Cette mécanique apparaît sous forme de Quizz au début de chaque phase de Shoot’em Up. Durant une séquence qui, visuellement, a de quoi provoquer des crises d’épilepsie aux plus sensibles, le joueur a une poignée de secondes pour choisir parmi 5 réponses à une question portant sur un élément important de l’enquête en cours. Au nombre de 5, chaque question offre 3 vies supplémentaires pour la phase de Shoot’em Up. Les vies disparaissent plutôt rapidement, le joueur a donc intérêt à répondre correctement. Mais nul besoin d’avoir révisé le déroulement du récit avant de s’y attaquer, ces questions restent rudimentaires. Le joueur peut donc commencer ces phases de tir, découpées en 3 sections avec un boss au terme de chacune, avec au maximum 20 vies au total (+ 3 qu’il peut récupérer en découvrant un objet caché par section).
Si le fait d’avoir un nombre suffisant de vies est important, c’est car ce n’est pas uniquement l’aptitude du joueur à se faufiler entre un enfer de projectiles qui en dépend. Chaque fin de section, lorsque le joueur a suffisamment affaibli le boss en lui tirant dessus, il s’engouffre dans son cerveau pour y détruire un préjugé en présentant un contre-argument à une croyance du boss persuadé de la culpabilité du prisonnier et qui attend la fin de cette phase pour l’exécuter. Bien que les choix des réponses ne soient pas toujours très logiques, ces phases dignes d’un tribunal de Ace Attorney apportent une réelle touche d’originalité et un lien intéressant avec le récit. Attention cependant, la moindre erreur coûte 3 vies au joueur, et comme la réponse n’est pas toujours évidente, il est facile de perdre beaucoup de vies bêtement. D’ailleurs, contrairement aux Game Over instantanés durant les phases de Visual Novel, un Game Over durant la phase de Shoot’em Up vous ramène au tout début de la première séquence, vous pouvez même choisir de repasser le quizz de début pour maximiser votre nombre de vies. Ces phases n’étant pas très longues, ce n’est pas trop dérangeant malgré la frustration sur le court terme.
Durant ces “tribunaux”, le joueur fait donc une synthèse de tout ce qu’il a observé et appris durant la phase d’enquête du chapitre pour apporter une conclusion à ce pan d’histoire. Et c’est finalement plutôt grisant d’alterner adresse et réflexion durant ces moments.
Si les phases de Shoot’em Up vous plaisent, elles sont toutes rejouables dans le mode qui leur sont consacrée dans le menu principal. Plus de passage de Quizz ni de preuve à présenter, ce mode permet d’apprécier pleinement le Shoot’em Up et faire du scoring tranquillement.
Synthèse
Finalement, c’est réellement dans ces phases de Shoot’em Up que YuruKill prend tout son intérêt. Le mélange entre tribunal et jeu de tir fonctionne très bien. De ce fait, toutes les phases trop lentes, longues et redondantes sans le moindre intérêt d’un point de vue du gameplay restent indispensables pour profiter pleinement des conclusions sous forme de Shoot’em up. C’est pourquoi c’est encore plus dommage de ne pas avoir pris le temps d’offrir une jouabilité plus intéressante et engageante pour toutes les autres parties du jeu, l’expérience aurait pu être sincèrement exceptionnelle. D’autant plus que le scénario se tient très bien grâce à une panoplie de personnages intéressants, bien écrits et bénéficiant surtout d’un charadesign franchement réussi.
L’esthétique générale du jeu est excellente grâce à des illustrations de grande qualité, des interfaces originales (rappelant un peu celles de Persona 5 dans leur folie graphique) et surtout un beau travail sur la musique du jeu ainsi qu’un doublage intégral et excellent en japonais. La traduction française des sous-titres est par ailleurs vraiment très inspirée et drôle, un point supplémentaire pour YuruKill de ce côté, car ce genre de production se limite souvent à uniquement une traduction anglaise.
Une direction artistique réussie.
Une histoire intéressante.
Des personnages bien écrits et très bien doublés.
Une traduction française excellente.
Des phases de Shoot’em Up satisfaisantes.
La fin.
Des énigmes affligeantes de simplicité et très peu inspirées.
Amateurs d’escape game, passez votre chemin.
Le rythme inégal et les redondances.
Quelques problèmes de performances durant les phases de Shoot’em Up.
Certains choix à faire manquent de clarté ou de logique.
Une gestion de l’UX perfectible durant les puzzles.
Quelques facilités scénaristiques.
Manque d’homogénéité entre les différentes phases.
J’attendais énormément de YuruKill dont le concept avait tout pour briller. Bien qu’originale, l’expérience de jeu est tristement ternie par des phases redondantes et beaucoup trop simples. L’histoire écrite par l’auteur de Gambling School reste convenue mais néanmoins plutôt intéressante, mais elle aurait probablement eu plus d’impact sous forme de manga ou d’anime, qu’avec ces tentatives de phases de jeu par dessus.
L’intérêt du gameplay se trouve principalement dans son concept de Shoot’em Up saupoudré de Visual Novel pour faire avancer les enquêtes, mais l’équilibre est loin d’être bon pour offrir une expérience pleinement amusante et satisfaisante. C’est dommage car toute une partie du jeu est intéressante et l’originalité du concept est à saluer.
Je reste malgré tout réceptif à l’univers de YuruKill, ses personnages et ses idées, et je pense qu’Izanagi Games ont maintenant toutes les clefs en main pour créer un deuxième opus qui saura corriger toutes les erreurs de parcours de celui-ci.