Savez-vous danser ? De la valse au break dance en passant par le headbang ou le tango, la danse est une réaction naturelle et physique vis-à-vis d’une musique ou d’un rythme entraînant.
Personnellement, je fais partie de ceux qui restaient assis lors des booms à l’école primaire, et j’ai toujours été fasciné par ces personnes capables de mouvoir leurs corps au rythme de la musique. Je trouve ça d’une beauté fascinante quand les danseurs ne font qu’un avec la mélodie qui s’emparent de leur corps pour en faire un réceptacle visuel, une forme de possession dont l’exorcisme se déclencherait par le silence.
Il existe toute forme de danse, tapoter son gros orteil au sol en rythme est déjà une manifestation du corps du besoin de vivre la musique en plus de l’entendre. Cette réaction est plus ou moins innée chez tout le monde, mais elle se manifeste de manière bien différente. Les personnes passionnées par la danse vont en boîte, au bal, ou se jettent dans un pogo en plein concert de hard rock. Ce besoin de ressentir la musique par le corps est extraordinaire.
Parmi ses nombreuses formes, la danse peut être autant primitive que raffinée, autant brutale que technique. Elle peut être l’une des rares disciplines qui est autant artistique que sportive. Elle s’étudie, elle s’entraîne, elle est d’autant plus exigeante que la prouesse artistique est également physique. Ces deux facettes de la danse se tiennent par la main et se guident, comme lors de la plus belle des valses.
Bienvenue dans la salle de bal
La mise en scène de l’apprentissage d’un sport ou d’un art est une thématique plutôt commune dans le monde du manga, la danse a également déjà été abordée avec plusieurs titres. Mais selon moi, elle a souvent été présentée comme ciblée “pour les filles”. Aujourd’hui, le monde essaie de déconstruire les codes des genres, et cela passe aussi par le manga.
Welcome to the Ballroom, scénarisé et dessiné par Tomo Takeuchi, est une des sorties attendues de l’année. En cours depuis 2012 au Japon, il s’agit du premier manga publié de cette autrice.
Tatara Fujita est un collégien ordinaire qui n’a aucun rêve d’avenir et mène une existence plutôt indolente. Mais un jour, il est enlevé par un mystérieux motard au casque intégral, qui l’emmène dans une école de danse de salon. Et là, c’est la révélation ! Pour Tatara, la découverte de cet univers bouleversera bientôt son quotidien, puis sa vie toute entière…
Des thématiques très denses
Ce titre aborde intelligemment des sujets très intéressants. Premièrement, la découverte du monde de la danse et de ses codes offre un aperçu pédagogique au lecteur en lui proposant un apprentissage en même temps que le protagoniste. Cet aspect instructif est vraiment bienvenu et m’a donné envie de poser le livre pour essayer de reproduire les pas de danses et techniques d’entraînement chez moi. Puis, je me rappelle que j’ai le corps d’un titan et la souplesse d’un bâton, et je retourne à ma lecture.
Le personnage de Tatara est un lycéen lambda avec des préoccupations de lycéen lambda. C’est pourquoi, la découverte d’un tel monde provoque des sentiments partagés en lui, mais qui vont être très rapidement balayés par la fascination qu’il ressent. J’aurais bien aimé le voir un peu plus lutter pour déconstruire les stéréotypes et clichés dont souffrent les danseurs. Mais je comprends que pour pouvoir offrir au lecteur le cœur du sujet, c’est-à-dire l’apprentissage de la danse et les compétitions, l’auteur n’avait pas nécessairement l’occasion d’apporter un peu plus de nuances à l’éveil de l’intérêt de Tatara pour cette discipline.
Assassination Ballroom
Ce qui m’a instantanément frappé avec ce tome 1 de Welcome to the Ballroom, c’est cette magnifique couverture et plus précisément ce regard déterminé et hypnotisant. Cette concentration dans les yeux des personnages est présente tout au long de la lecture et impressionne à chaque reprise. Ces regards de tueurs sont d’une intensité redoutable et exacerbent la passion pour la danse ainsi que la force physique et mentale nécessaire pour réaliser ces prouesses devant le public et les juges.
Personnages : Une chorégraphie classique
Un personnage extrêmement persévérant avec un talent naturel pour une discipline rencontre une belle jeune femme qui sera sa source de motivation et d’apprentissage pour tenter de surpasser son rival surdoué, le tout sous les yeux d’un mentor, vétéran dans le domaine. Expliqué de cette manière, c’est une structure plutôt classique qui a déjà fait ses preuves. Pour l’instant, ce n’est pas dans cet aspect là que Welcome to the Ballroom brille par son originalité, bien que la formule fonctionne bien et permette de porter l’attention sur l’essentiel : la danse.
Je regrette cependant que le rôle des femmes tel qu’elles sont représentées dans ce premier tome soit encore trop en retrait. Elles servent principalement de faire-valoir aux personnages masculins, et j’espère qu’elles auront leur moment de gloire autrement qu’en étant menées par leur partenaire. Je pense notamment à l’intrigante Shizuku dont j’espère rapidement découvrir le développement.
Une valse pour la rétine
Les dessins de Tomo Takeuchi sont absolument splendides. Les scènes de danses sont parfaitement maîtrisées, et croyez-le ou non, je suis sûr qu’elles bougeaient réellement sur le papier. Les mouvements sont tellement forts et dynamiques qu’ils seraient capables de me donner le tournis. Pour renforcer cette immersion, le découpage, relativement classique, se permet toutes les audaces lors de ces scènes.
Les personnages sont toujours très beaux, mais ils ont un aspect relativement conventionnel. Mais c’est un choix judicieux de la part de l’autrice car ils déploient toute la puissance de leur beauté quand ils sont apprêtés pour une représentation de danse. C’est d’ailleurs cet aspect qui est mis en valeur sur la couverture, Tatara y coiffe soigneusement son improbable tignasse que l’on découvre dès les premières pages.
Rhythm and (no) Blues
Le rythme du manga est particulier. Certaines scènes prennent tout leur temps pour faire vivre l’action confortablement, alors que d’autres s’enchaînent presque trop vite. Des séquences paraissent donc particulièrement précipitées, notamment la dernière scène du tome 1 qui m’a laissé avec un sentiment mitigé d’impatience et d’incompréhension, mais aussi très enthousiaste pour la suite.
Le ton des dialogues reste globalement léger et les répliques comiques ne sont pas rares de la part des personnages. Comme beaucoup d’aspect du manga, l’accent est mis sur une certaine légèreté dans la vie de tous les jours offrant un contraste évident avec les scènes de danses.
Une édition spectaculaire
Les éditions Noeve Grafx offre encore une fois un travail superbe et généreux grâce à une jaquette texturée du plus bel effet. Les suppléments habituels de l’éditeur sont également présents (inserts, bandeau et surtout la carte à collectionner). Le tout pour un prix tout à fait dans la moyenne du marché (7.95 euros). Les ouvrages de Noeve Grafx se démarquent de plus en rayon grâce à ces efforts supplémentaires. Je leur souhaite de réussir à conserver cette qualité et cette originalité pour l’ensemble de leur collection car ça fait toujours son petit effet une fois en main.
Des thématiques originales et intéressantes
Des dessins puissants et magnifiques
Une mise en scène dynamique et contrastée
L’édition splendide
Quelques soucis de rythme
Les personnages féminins encore trop en retrait
Welcome to the Ballroom est une excellente surprise grâce à un thème rarement abordé en manga. Tomo Takeuchi offre des cases d’une rare puissance grâce à des dessins somptueux valsant avec une mise en scène dynamique.
Quelques faux pas ont légèrement terni le spectacle à mes yeux, l’empêchant d’être parfait. Mais je suis certain que la prochaine danse saura rattraper mes craintes car ce manga ne manque pas d’intelligence, notamment grâce à une thématique originale et une pertinence dans le public ciblé.
J’ai très hâte de découvrir la suite avec le tome 2, à paraître le 24 septembre 2021.