Tôgen Anki
Tomes 1 et 2
Togen Anki
Auteur : Yura Urushibara
Editeur : Dark Kana
Date de Sortie : 4 février 2022
Genre : Action / Fantastique
Big Découverte

Les éditions Kana dégainent l’artillerie lourde en ce début d’année 2022 avec Tôgen Anki de Yura Urushibara dont il s’agit de la première série publiée. 

C’est aux éditions Akita Shoten que cette série commence son histoire au Japon. C’est un éditeur qui est connu pour certains de ses titres particulièrement marquants (et souvent violents) comme Prisonnier Riku ou encore Baki. On y trouve aussi plusieurs manga de type furyo comme Crows dont la réédition est vivement attendue en français. Je le précise car certains espèrent voir en Tôgen Anki un manga de type furyo, mais je suis navré de couper court à ces espoirs, ce n’est absolument pas le cas. 

Le catalogue existant de l’éditeur japonais ainsi que la décision des éditions Kana de classer Tôgen Anki dans la collection Dark Kana donne le ton, c’est un manga à ne pas mettre entre toutes les mains. Pourtant, malgré les (élégantes) effusions de sang sur la couverture, les compositions, le format et les personnages donnent une première impression très “shônen manga”.

Alors qu’est-ce qui se cache réellement derrière cette nouveauté ?  

Par respect pour les 1300 autres articles ou vidéos qui vont utiliser le jeu de mot “sang pour sang” pour ce manga, il ne sera pas présent dans celui-ci, merci de votre compréhension.

Momotarô VS Oni

L’histoire de Tôgen Anki puise son postulat de départ de l’un des plus célèbres contes japonais, intitulé Momotarô. Dans ce conte, Momotarô, un guerrier qui serait né dans une pêche géante, chasse les Oni, sortes de démons pilleurs de village qui vivent sur l’île de Onigashima. Extrêmement populaire, ce conte a inspiré de nombreuses œuvres, et notamment One Piece

Pour l’écriture de son manga, Yura Urushibara réinterprète très librement les éléments de ce vieux conte pour en faire ses piliers scénaristiques. Le synopsis est le suivant : Le jeune Shiki, voyou passionné d’armes à feu aussi impulsif que bête, vit seul avec son père avec qui il entretient une relation conflictuelle. Il apprend qu’il est en réalité un descendant des Oni et qu’il est la cible des Momotarô, clan composé des descendants du célèbre chasseur légendaire du même nom. Ces derniers disposent d’une faculté propre à leur lignée, leur permettant de matérialiser une sorte de brume pour en faire des armes. En tant que Oni, Shiki a aussi un pouvoir, celui de manipuler son sang pour également en faire une arme. Après un événement tragique, il rejoint le clan Oni pour apprendre à maîtriser ses pouvoirs et participer à la guerre contre les Momotarô, pour des raisons que je ne vous dévoilerai pas ici. 

Ce qui est d’emblée intéressant, c’est que dans la légende, Momotarô était dépeint comme le gentil guerrier qui chassait les vilains Oni. La focale de Tôgen Anki est, au contraire, placée sur le clan des Oni qui n’a pas l’air doté de mauvaises intentions alors que le clan des Momotarô sont des affreux exterminateurs sanguinaires et immoraux. Une idée intéressante qui joue sur les automatismes manichéens, comme quelques autres mangas.  

Tôgen en kit ?

En ressortant de la lecture des deux premiers tomes, ma première impression était celle d’un moment agréable, vraiment très satisfaisant. Le tout défile à toute vitesse et c’est très bien exécuté. Les personnages sont tous très stylés et leurs pouvoirs sont impressionnants. 

Cependant, une fois le plaisir immédiat assimilé, je me rends compte que le manga me laisse l’impression d’avoir été calibré pour chatouiller tout ce qui peut me procurer une satisfaction instantanée. Et cette sensation commence par le très grand nombre d’inspiration dont le titre n’a pas l’air de se cacher. Par exemple, le fait que Shiki intègre un institut spécial de formation avec d’autres Oni de son âge pour qu’ils y développent leurs pouvoirs est une énième exploitation d’un concept qui est surreprésenté dans les mangas. D’autant plus que la première épreuve à laquelle ils sont confrontés ressemble étrangement à une épreuve aux débuts du manga Naruto, voire à une étape de l’examen des Hunters dans Hunter X Hunter. La rivalité entre deux personnages, le blond versus le brun, m’évoque aussi plusieurs séries de type shônen grand public. 

Le character design pioche allègrement dans tout ce qui plaît comme manga pour proposer un éventail de personnages tous très charismatique. Cet aspect, ainsi que plusieurs scènes m’ont également laissé un curieux arrière goût de déjà-vu dans le palais. En toute honnêteté, la liste des autres mangas qui me sont venus en tête durant cette lecture est conséquente. 

Attention, je ne dis pas que c’est mauvais, loin de là. Au contraire, toutes les cases sont cochées pour en faire un succès. Je ne dis pas non plus que le manga repose sur les idées des autres, ou que c’est du plagiat. Je pense juste que l’auteur ne digère pas forcément entièrement ses références et ses inspirations pour complètement se les réapproprier. Il est parfaitement normal de créer quelque chose en s’inspirant d’autre chose. Pour Tôgen Anki, j’ai juste l’impression que les ingrédients sont encore trop visibles. 

L’auteur prouve néanmoins qu’il sait avoir des idées originales et intéressantes, et c’est souvent quand il s’agit de réinterpréter un aspect du conte de Momotarô. Je pense, par exemple, à l’existence de l’entité nommée Ugly, que je vous laisserai découvrir et essayer de comprendre son lien avec le conte, c’est très amusant. 

Obligation éditoriale ou intelligente stratégie de la part de l’auteur, la route “déjà-vue” que prend Tôgen Anki dès la fin de son tome 1 subit un virage à 180° assez radical dans le dernier tiers du tome 2, offrant un aperçu des enjeux de la guerre des clans, tout en introduisant davantage les Momotarô. La lecture des deux tomes se termine donc effectivement avec la furieuse envie d’en savoir plus, car la série a l’air d’avoir beaucoup plus à montrer que du déjà-vu ! 

Âmes Sang-sibles s’abstenir

Je n’ai jamais dit que je ne ferai pas d’autres jeux de mots nuls par contre.

Comme mentionné dans l’introduction, Tôgen Anki n’est pas à mettre entre toutes les mains. Sans être un carnage, certaines scènes sont plutôt explicites. Cela dit, quand le principe d’un manga repose sur des personnages utilisant des grandes quantités de leur sang pour fabriquer des armes et se battre avec, c’était à prévoir. Néanmoins, je reste interpellé par la surcouche très shonen manga au niveau du récit et des graphismes. Je lis Tôgen Anki avec la certitude d’être en présence d’une œuvre tout public alors que ce n’est pas le cas. 

A part l’appartenance à la collection Dark Kana, il n’y a aucun avertissement quant à un contenu violent ou une suggestion d’âge minimum. C’est étonnant, quant on sait que même un titre comme Sexy Cosplay Doll, aussi publié chez Kana, possède une mention “Attention Titre Sexy”, je me serais probablement attendu à voir au moins un “Attention Titre Sanglant” sur Tôgen Anki. 

D’ailleurs, en préparant cet article, j’ai aperçu la couverture japonaise du tome 4 et je me demande si Kana vont la garder telle quelle ou si elle va être un peu recadrée, car la pose et la tenue extrêmement suggestives du personnage ne représente pas vraiment le ton du manga, à mon goût. 

Dans la veine de Kana

Côté édition, les deux premiers tomes sont sortis simultanément, et c’est, selon moi, une très bonne initiative, comme mentionné un peu plus haut. C’est vraiment en lisant ces deux tomes qu’il est possible de se faire un avis plus précis sur la direction que veut prendre la série, à moins qu’elle n’amorce encore un virage. Mais j’en doute, les fondements des enjeux commencent à se solidifier. 

Une édition collector est même sortie avec un petit coffret contenant les deux premier tomes, de quoi être sûr de bien commencer la série. Autrement, les livres restent des ouvrages simples de chez Kana, sans effet particulier sur les jaquettes ni de pages couleur. 

Un dernier mot sur la tradaptation de celle qu’on ne présente plus dans le monde du manga : Aline Kukor fait à nouveau un travail de grande qualité en offrant des textes naturels et qui sonnent juste. C’est toujours un plaisir !

Big

Des graphismes précis et efficaces

Une réinterprétation originale du vieux conte de Momotarô

Un titre qui se lit vite et bien, pour une satisfaction immédiate

Une super tradaptation

Little

Des références un peu trop visibles pour un sentiment de déjà-vu omniprésent

Un positionnement confus. Tout public ? Shônen ? Pour lecteur averti ?

Le titre manque encore un peu de profondeur pour être marquant.

Sur le court terme, Tôgen Anki est une lecture extrêmement satisfaisante qui sait toucher toutes les cordes sensibles pour nous faire passer un très bon moment. Qu’il s’agisse de dessins ou d’idées scénaristiques, tout est calibré pour cocher toutes les cases d’un cahier des charges pour en faire un succès. Mais il lui manque encore un peu de profondeur.  

Sur le long terme, le manga possède des fondations solides basées sur un postulat original, et il lui reste maintenant à s’émanciper de ses références un peu trop visibles pour rendre l’expérience plus homogène. A l’instar de son héros, le manga de Yura Urushibara a le potentiel de devenir lui-même une référence s’il apprend à maîtriser ce qui coule dans ses veines ! 

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