Après une sortie remarquée sur PC et XBOX en janvier 2021, The Medium, le dernier jeu de Bloober Team, sort six mois plus tard sur consoles nouvelle génération PS5 et Xbox Series S/X. Le studio polonais s’est fait un nom dans le milieu grâce à des expériences narratives réussies. Layers of Fear 1 et 2, par exemple, sont de véritables expéditions viscérales dans des tableaux teintés de sang et de folie. Maître des aventures à la première personne, The Medium est leur premier gros projet se jouant à la troisième personne.
Malgré quelques critiques à propos d’embêtants problèmes de performance, principalement due à certaines mécaniques de gameplay très gourmandes en ressources, le jeu avait suscité de l’enthousiasme chez les joueurs. Il était réservé aux plateformes de Microsoft. C’est donc avec joie que les joueurs sur la dernière console de Sony peuvent désormais découvrir cette expérience qu’est The Medium.
Je remercie chaleureusement le distributeur Koch Media qui m’a envoyé une version digitale du jeu, ça aura été l’occasion de voir une fois de plus ce que la PS5 a dans le ventre.
Coup de fil rouge
Après une introduction dont la mise en scène est poignante et qui présente très intelligemment les contrôles principaux du personnage jouable, l’histoire démarre par un mystérieux appel téléphonique.
Comme le nom du jeu l’indique, nous suivons la quête d’une medium. Marianne est capable de percevoir le monde des esprits en même temps que le monde physique. Cette faculté lui permet d’accompagner dans l’au-delà l’âme de certains défunts. Sa famille est étroitement liée à ses pouvoirs, et la découverte de son histoire et de ses secrets sera le fil rouge qui fera avancer l’histoire.
Le récit est plutôt difficile à suivre par moment. Le joueur est constamment sollicité avec de nouvelles informations à retenir, qu’il s’agisse de commentaires de la part du personnage ou notes à lire. De plus, certains micro-objectifs ayant peu de lien avec l’histoire principale revêtent une importance qui peut entraîner une rupture dans le suivi du récit. Mais même sans comprendre l’intégralité des enjeux, la qualité de la mise en scène en fait une expérience plaisante et captivante.
Un gameplay qui peut diviser
La mécanique de gameplay qui est présente dans toutes les communications autour du jeu présente des scènes où le joueur contrôle Marianne simultanément dans deux décors différents. L’écran est donc scindé (verticalement ou horizontalement selon la scène) et la medium se retrouve dans deux décors à la composition similaire, mais l’un est le monde réel, tandis que l’autre est le monde des esprits. Ce dernier est un environnement viscéral et glauque ressemblant à l’idée que l’on pourrait se faire de l’enfer. Le but est d’explorer ces deux facettes d’un même paysage de façon simultanée pour trouver les éléments d’un monde qui pourraient avoir une incidence sur l’autre. Le concept est brillant, mais il aurait pu être exploité davantage. En dehors de quelques passages particulièrement inspirés et efficaces, j’ai trouvé que les énigmes ne tiraient pas assez parti de l’originalité du concept. Certaines situations ou puzzle se retrouvent trop vite résolus sans trop d’efforts.
En revanche, ces phases posaient des problèmes de performance lors de la première sortie du jeu. Effectivement, le jeu devait afficher deux scènes simultanément dans le moteur de jeu, il y a de quoi coucher certaines machines ! Heureusement, le passage à la next-gen offre une expérience parfaitement fluide et optimisée.
Les inégalités dans le gameplay nous mène vers les symptômes touchant le reste du Game Design de The Medium : l’inconsistance.
Une inconsistance constante
Dès le début, le jeu offre une panoplie de mécaniques de gameplay très intéressantes. Je pense notamment au fait de pouvoir combiner des objets dans l’inventaire, ou encore de pouvoir jouer avec le timing lors de l’utilisation de ces objets. Par exemple, dans la scène de tutoriel, il faut développer une photographie en l’illuminant pendant quelques secondes, puis en la trempant dans différentes solutions en suivant un timing précis (au risque de rater le développement du cliché et de devoir réessayer). Malheureusement, le jeu n’exploite quasiment à aucun moment ces possibilités d’interaction. Tout joueur chevronné des jeux d’enquête aura le réflexe de régulièrement tenter de combiner les objets de l’inventaire pour la résolution d’énigme, mais il faut se rendre à l’évidence que cette mécanique de gameplay n’est purement pas exploitée.
Le sentiment d’inconsistance m’a accompagné pendant une bonne partie de l’aventure lors de scènes offrant de nouvelles mécaniques de gameplay exploitées de manière très sommaire. Je pense notamment aux passages où l’on contrôle un autre personnage (dont je tairais le nom pour ne pas gâcher la découverte). Bien que ces scènes soient essentielles à la compréhension de l’histoire, elles étaient très pauvres en matière de jeu. Pourquoi ?
L’histoire a tout pris
À mon sens, la volonté de Bloober Team de raconter l’histoire de Marianne a provoqué une rupture dans le gameplay. Fondamentalement, on suit un scénario de manière presque scolaire, et les idées de gameplay ont été posées par dessus. Le tout manque de cette symbiose entre l’histoire du jeu et son gameplay, lorsque le gameplay apporte autant au récit que l’inverse. Cet égarement dans les intentions du jeu met une importance capitale sur l’histoire en dépit du jeu. Exemples :
Un monstre surgit, il faut rapidement fuir durant une phase de course poursuite dont la mise en scène et le rythme sont grandioses. Mais la scène se permet des entorses à sa propre diégèse en manquant de respect aux règles de ce monde pour le bien du récit.
Le même monstre rôde dans une autre salle ? Le jeu deviendra un jeu d’infiltration pour jouer à cache-cache avec lui.
Il est aussi intéressant de relever que la difficulté est relativement inexistante dans ce jeu. Il faut parcourir des environnements sinistres sans jamais réellement avoir une sensation de danger. Ce n’est pas un problème, étant donné qu’il est assumé que l’accent est mis sur la narration et l’enquête. Cependant, certaines phases comme, justement, la poursuite ou l’infiltration ont un flagrant problème d’équilibrage. Une micro-seconde d’inattention et c’est le game over, alors que le rythme général du jeu est très lent, le joueur n’a pas le temps d’assimiler les nouvelles règles qu’il est déjà mort. Certaines de ces scènes sont d’une punitivité extrêmement frustrantes, alors que d’autres n’offrent aucune difficulté et il suffit de traverser la scène tout droit sans se préoccuper des « dangers » environnants pour passer à l’étape suivante.
Cette frustration est finalement bien dommage car certaines phases d’enquêtes / puzzle sont vraiment agréables et intéressantes à parcourir (à défaut d’être complexes ou dangereuses).
Le jeu impose donc son propre rythme afin de raconter l’histoire de manière linéaire en adaptant constamment le gameplay de manière à toujours rester sur les rails de l’histoire, au détriment de la consistance.
Le spectacle de l’horreur
Là où Bloober Team fait un sans faute, c’est au niveau de la direction artistique (visuelle et sonore). The Medium brille fort ses paysages inspirés et la représentation infernale du monde des esprits qui fait mouche à chaque fois. Les personnages humains sont très convaincants, tout comme le reste des habitants de l’autre monde, à la fois repoussants et attirants.
La mise en scène est également savamment portée par un jeu de caméra fixe, en hommage aux vieux Survival Horror de l’époque. Le résultat est poignant et toujours efficace.
Les passages en cinématique ne sont pas en reste et offrent des angles de caméra audacieux qui parviennent à exploiter intelligemment le principe de division de l’écran pour montrer simultanément les deux mondes de Marianne.
La bande son n’est pas en reste. D’une part, le doublage anglais est de grande qualité. D’autre part, le jeu s’est offert le plaisir de travailler avec l’illustrissime Akira Yamaoka, compositeur de génie, spécialisé dans l’habillage sonore de jeux aux ambiances uniques (et souvent glauques) comme la plupart des opus de Silent Hill ou encore des jeux de Grasshopper Manufacture (Shadow of the Damned, Killer is Dead, etc).
La musique dans The Medium accompagne parfaitement le jeu, discrète, presque intime, mais toujours présente et vecteur de sentiments cohérents avec les environnements du jeu.
Narrative Horror
Finalement, The Medium est une continuité logique de ce que savent faire Bloober Team : De l’horreur narrative. La vue à la troisième personne et les angles de caméra ont laissé, à tort, supposer que le jeu est du type Survival Horror, mais ce n’est pas le cas. Le choix d’abandonner la vue à la première personne permet au studio d’apporter de nouvelles subtilités très intéressantes aux gameplay, mais elles manquent encore du niveau de maîtrise auquel il a habitué les joueurs. Beaucoup d’idées intéressantes sont présentes dans le jeu, mais je pense qu’une phase de tri et d’équilibrage devra être absolument nécessaire pour faire de leur prochaine production une expérience plus convaincante et consistante. Sur la forme, The Medium est une aventure extrêmement convaincante grâce à une esthétique irréprochable et un habillage sonore exceptionnel, mais sur le fond, l’harmonie entre récit et gameplay est encore à affiner pour offrir une expérience totalement convaincante.
Une introduction poignante
Une direction artistique magnifique
Une bande son (musique et doublage) exceptionnelle
La mise en scène et la caméra très efficaces
Certaines scènes particulièrement fortes
Des inconsistances dans le Game Design
Une volonté de raconter une histoire au détriment du jeu
Une histoire néanmoins difficile à suivre
Absence de challenge
Quelques passages redondants
Personnellement, j’ai très peur quand je joue à des jeux d’horreur, c’est loin d’être ce que je préfère. Je perds vite mon sang froid et fais n’importe quoi. Heureusement (ou malheureusement, question de point de vue), The Medium est davantage une expérience narrative à suivre comme un film, de par son absence de réel challenge. J’ai donc pu prendre du plaisir à vivre cette aventure sans me soucier d’être un mauvais joueur de jeux qui font peur. Je me suis pleinement immergé dans ce monde à la direction artistique phénoménale. Et malgré des maladresses et inconsistances dans le Game Design qui montrent le manque de maturité dans ce nouveau format pour la Team Bloober, je reste très impatient de découvrir leur évolution dans les prochains projets du studio.