Créatures de Contenu
Connaissez-vous les créateurs de contenus, ces nouvelles stars du web dont la valeur se mesure en followers ? L’impact de ces personnes actives en tant que streamer / twitteur / blogueur / youtubeur / insérer un autre mot de votre choix finissant en eur, se mesure en visibilité et non en qualité.
Bien qu’un contenu de qualité devrait normalement générer de la visibilité de manière organique et naturelle, l’équation est en réalité bien plus compliquée. Il faut aussi diffuser son contenu efficacement pour toucher les bonnes personnes, avoir aussi forcément un peu de chance, soigner sa personnalité et sa présence en ligne, et aussi savoir flatter les entreprises qui peuvent potentiellement mener à des partenariats.
En réalité, la création de contenu est un monde impitoyable, à priori bienveillant et dans l’entraide, mais les requins qui attendent pour mettre coups de crocs dans le dos ne sont jamais loin. Le jugement y est omniprésent et il faut une vraie force mentale pour continuer à proposer quotidiennement du contenu aux consommateurs boulimiques de nouveautés, sinon ils unfollow. Faire une pause de lives Twitch de plusieurs mois entraînera une perte d’abonnés conséquentes et le moindre faux pas sur Twitter peut déclencher un tsunami de négativité. C’est une machine infernale.
De mon côté, si vous lisez cet article c’est que mon contenu vous interpelle d’une manière ou d’une autre et je vous remercie de faire augmenter mes stats de lectures du jour pour que je puisse les envoyer à d’autres blogueurs genre Pierrickola pour mesurer qui a la plus grosse (spoiler alert : c’est toujours lui). J’observe également d’un œil attentif le monde de Twitch depuis que ma copine Lorychoupi s’est également mise au streaming. Entre le réseautage et le matériel à se procurer, je peux affirmer que c’est bien plus dur que de juste “se poser devant un ordi et parler” (nous y reviendrons).
Fondu enchaîné
C’est dans cet univers impitoyable que prend place l’histoire d’Adel et Carla dans Talento Seven le nouveau manga du duo français Kalon & Izu, une dessinatrice et un scénariste déjà bien connus chez grâce à Versus Fighting Story dont les 4 tomes sont parus chez Glénat.
Dans cette création originale éditée chez Kana, le monde des influenceurs est hiérarchisée. Tels les 7 capitaines corsaires dans One Piece, il existe 7 créateurs de contenus dont le nombre de followers pourrait représenter les “primes”. Toujours tels ces pirates à la solde du gouvernement, les Talento Seven sont employés par l’entreprise Starweb qui détient leur contrat et a donc un contrôle quasi-total sur leur image et activités.
Cette structure dont la hiérarchie convient parfaitement aux codes du shônen manga se permet en plus d’être satirique envers des entreprises comme Webedia qui contrôlent certains créateurs de contenu du web. Le concept est efficace et bien trouvé !
L’histoire est donc celle d’Adel, un jeune homme absolument passionné par le retrogaming et qui en parle volontiers avec ferveur en utilisant généreusement tout un jargon technique incompréhensible pour le commun des mortels, mais c’est ce qui fait son charme. Il a ouvert une chaîne youtube avec Carla, son amie d’enfance passionnée de cinéma et vraiment douée pour la réalisation de vidéo. Les stats peinent à grimper jusqu’au jour où ils rencontrent Benzou, personnage que les auteurs ont créé à partir du célèbre Youtubeur Benzaie (avec son accord et son implication dans la conception du manga). Ce dernier, 7ème membre du Talento Seven va croire en la passion d’Adel et va leur proposer de participer à la Starweb Academy, une télé réalité qui permettra de dénicher la future superstar des créateurs de contenus.
Fondu en larmes
La caractérisation des personnages principaux est très intéressante. L’hyperémotivité d’Adel et sa tendance à fondre en larmes représente un handicap majeur pour quelqu’un qui va devoir streamer devant des milliers de viewers. De plus, la relation qu’il entretient avec Carla et leur soutien inconditionnel l’un pour l’autre est particulièrement réussi. La marge de progression des personnages est encourageante pour la suite et je me demande vraiment comment Adel saura dompter son émotivité et grimper les échelons du Talento Seven pour devenir la prochaine star car il part vraiment de zéro. Je me demande d’ailleurs si sa progression restera plausible ou si la magie du shônen manga lui offrira des pic de croissances peu crédibles en matière d’audimat.
Bien que le manga soit truffé de références au monde de Youtube et de Twitch, il n’est pas nécessaire de toutes les connaître pour comprendre et apprécier la lecture du manga. Personnellement j’ai reconnu Benzou ainsi que le “joueur de la cave” (je vous laisse deviner de qui il s’agit), mais je suis persuadé d’être passé à côté d’un nombre conséquent de références. Même si je partais avec certaines connaissances dans le domaine, j’avoue que j’avais un peu peur d’être largué lors de ma lecture. Mais finalement la lecture s’est très bien passée pour moi, je me demande néanmoins à quel degré tout reste compréhensible pour un complet néophyte en matière de Youtube ou de Streaming.
De mon côté, j’ai toujours été passionné par ces mangas montrant les coulisses d’une activité connue et des contraintes qui y sont liées. Pour cette raison, je trouve que Talento Seven est un bel exemple à montrer à tout ceux qui pensent que l’activité de streamer c’est juste parler devant un ordinateur sans penser à tout ce que ça implique comme investissement de temps, d’argent, d’énergie et toutes ces périodes de frustrations, de doutes, de remises en questions et de fatigue.
Fondu au noir
J’ai beaucoup évoqué le fond de Talento Seven dont le concept me plaît. Mais qu’en est-il de la forme ?
Les dessins de Kalon ont gagné en précision depuis Versus Fighting Story pour un résultat satisfaisant et plutôt charmant. Les planches sont agréables à parcourir et ne sont pas avares en décors et en détails, d’autant plus que Kalon travaille ses planches seule, sans assistant. Il est intéressant de découvrir dans la postface en fin de tome qu’elle s’est mise à la 3D pour avoir une représentation parfaitement contrôlée de certains décors quel que soit l’angle de vue.
Très verbeux avec des bulles souvent bien (trop) garnies, j’ai trouvé la lecture un tantinet éprouvante par moment, et je ne parle pas que des passages où Adel entre dans des tirades d’explications techniques sur du retrogaming que je lisais en diagonale (mais je pense que pour ce cas précis, c’est fait exprès). De manière générale, les dialogues s’éternisent un peu. Ce n’est pas spécialement handicapant, mais je me suis surpris à m’impatienter durant ma lecture par moment.
Je souhaite saluer la charte graphique de la jaquette, calquée sur les codes du streaming et de la VOD. Des petites touches d’originalité sont parsemées de la C1 à la C4 jusqu’aux rabats et j’ai trouvé ça franchement sympa. Les textes de présentations sous forme de fenêtres de chat sont une bonne idée. Je regrette juste que l’illustration de couverture donne finalement assez peu envie, très chargée et peu lisible à cause du flou d’arrière-plan. Les couleurs sont aussi un peu ternes et ne rendent pas justice au rayon de soleil qu’est le personnage d’Adel.
Une thématique originale et intéressante.
Des références à foison, mais qui ne sont pas nécessaires pour la compréhension.
Une belle caractérisation des personnages.
Une DA de couverture très sympa.
Des bulles un peu trop garnies.
Une illustration de couverture terne qui ne rend pas justice au personnage.
Nouvelle série made in France, Talento Seven part sur une thématique très intéressante et originale. Permettant de comprendre davantage les difficultés que peuvent rencontrer les créateurs de contenu, le titre se permet également de montrer de manière satirique le fonctionnement des entreprises dont Starweb s’inspire. Une belle entrée en matière avec des personnages réussis malgré un rythme encore perfectible dans la narration. Je suis très curieux de découvrir la suite des aventures d’Adel et Carla !