Saturn Return
Tome 1
Saturn Return
Auteur : Akane Torikai
Editeur : Akata
Date de Sortie : 10 février 2022
Genre : Tranche-de-vie / Enquête
Big Découverte

Un jour, on m’a dit que la vie c’est une succession de “bonjour” que l’on échange au fil des rencontres. Chaque “bonjour” mène inexorablement à un “au-revoir”, et c’est uniquement le temps passé entre ces deux salutations, qu’il s’agisse de 2 secondes ou de 80 années, qui façonne notre parcours de vie. Parfois, on aimerait bien forcer le “au-revoir” sans y arriver, alors qu’à d’autres moments, il survient sans crier gare et sans avoir eu le temps de le dire de vive voix. Parfois, on essaie aussi d’éviter à tout prix de dire “bonjour” (comme l’arrivée d’un enfant par exemple), mais ce n’est pas toujours possible. 

Bonjour

Saturn Return est une nouveauté parue en février 2022 chez Akata dans la collection “Large”, celle réservée aux récits aux thématiques souvent lourdes de sens. L’autrice, Akane Torikai, est une habituée de cette maison française qui a déjà publié un grand nombre de ses œuvres parues au Japon. Sa bibliographie comprend notamment En Proie au Silence, Le Siège des Exilées ou encore le one-shot intitulé Sans Préambule, paru le même jour que ce premier tome de Saturn Return.

Avec sa couleur jaune (l’image accompagnant cet article ne rend pas justice à l’intensité de la couleur présente sur la jaquette imprimée), ce texte abondant, ainsi que cette illustration d’un plan très serré sur un visage de femme, la couverture de ce premier tome est plutôt atypique, et elle attire l’oeil.

Elle intrigue même, tout comme ces textes qui habillent la jaquette du livre. Un de ces textes, c‘est “Vivre, c’est enchaîner les pertes”. Connaissant la bibliographie de l’autrice, elle aime explorer le mal-être des humains et observer la société. La lecture s’annonce peut-être difficile.

Les éditions Akata ont la maline habitude d’ajouter 3 mots-clés sur la quatrième de couverture de chacune de leurs parutions, pour situer rapidement le contexte. “Deuil / Écriture / Enquête” sont les termes qui caractérisent Saturn Return. Le premier mot annonce évidemment le ton, le 2ème définit un environnement scénaristique. C’est le troisième troisième terme, “enquête”, qui suscite tout mon intérêt. Au-delà du récit type “tranche-de-vie” teintée de thématiques lourdes, se pourrait-il qu’une dimension proche du thriller avec une enquête policière serve de fil rouge ? 

Page blanche

Depuis qu’elle a publié son roman à succès intitulé “Le Pays de la Sieste”, Ritsuko Kaiji a perdu sa productivité. Quand elle n’est pas sous la pression de son mari qui souffre de dépendance affective et qui projette sur elle ses exigences en matière de couple, notamment le besoin d’avoir un enfant avec elle, son quotidien est maudit par cette page qui reste blanche. Elle n’a plus d’inspiration pour l’écriture. La raison est simple, sa muse qui lui offrait tant de matière à coucher sur papier s’appelait Nakajima, un ami de longue date. Le souhait de ce jeune homme était d’être le héros d’un roman qui sera la preuve de son existence, car il a prévu de mourir avant ses 30 ans. Véritable aveu de plan suicidaire ou prophétie, la vie insatisfaisante de Ritsuko s’anime le jour où un ancien compagnon l’appelle pour lui annoncer que Nakajima est bel et bien mort d’un suicide.

La réalité rattrapant la fiction rédigée par Ritsuko, c’est à partir de ce moment qu’elle se réveille de sa léthargie pour explorer – et affronter – son passé à la recherche de souvenirs et d’explications. Nakajima est mort, mais son suicide est couvert de mystères. Accompagnée de Koide, un nouvel assistant éditorial qui est fan du best-seller de l’autrice et qui tente de relancer sa carrière, Ritsuko tente de démêler le passé. Elle tient peut-être le sujet de son futur best-seller. 

Un sang d’encre

Avec Saturn Return, Akane Torikai impressionne par la clarté de sa structure et de sa lisibilité malgré la lourdeur de certaines thématiques et les différents niveaux de lecture. Qu’il s’agisse des passages “tranche-de-vie” approfondissant cette relation si malsaine que Ritsuko entretient avec son mari ou les différentes étapes de l’enquête autour du suicide de Nakajima, le rythme est toujours très satisfaisant. 

La force de la mise en scène joue énormément, l’autrice ne lésine pas sur les cases contemplatives où le temps est suspendu pour se laisser immerger le lecteur dans certaines ambiances. Plusieurs pages sont muettes, elles y montrent Ritsuko et son quotidien qui se confond avec ses souvenirs. Ce souci du détail et la richesse des environnements qui contraste avec la facilité de lecture malgré la gravité des sujets m’a immédiatement fait penser aux œuvres du grand Inio Asano, auteur notamment connu pour le manga Bonne Nuit Punpun. Ma stupéfaction fut vraiment grande quand j’ai appris que Akane Torikai et Inio Asano sont loin d’être étrangers l’un pour l’autre, pour la simple et bonne raison qu’ils sont mariés ! Ce dernier a même profité de son temps libre, durant ses vacances, pour donner un coup de main à son épouse pour la réalisation de certains décors.

Dans Saturn Return, la caractérisation des personnages est très intéressante. Chaque intervenant dans la vie de Ritsuko a un développement cohérent et identifiable. Le comportement de Noda, son mari, est prévisible, ce qui le rend de plus en plus lourd à chacune de ses insupportables interventions pour mettre la pression cachée derrière une fausse bienveillance à sa femme. Koide, l’assistant éditorial est l’élément plutôt comique du récit, qui est lui-même submergé par des histoires d’amourettes ridicules alors qu’il est très intense et impliqué dans son accompagnement de Ritsuko.

Cette dernière est l’élément le plus intéressant et central du récit, car elle est traitée de manière profondément humaine. Je dirais qu’elle n’a pas vraiment un archétype de personnage qui lui est attribué car c’est une femme qui s’est beaucoup renfermée sur elle-même et qui se laisse facilement submerger par ses souvenirs. Elle laisse entrevoir quelques pointes d’émancipation dans certaines de ses phrases ou actions qu’elle nie ou regrette ensuite, ce qui renforce davantage la mélancolie de son caractère habituel et son manque de confiance. Elle tente de briser un cocon qui s’est créé au fil des chapitres de sa vie.  

Du côté de l’édition, le travail des édition Akata est très beau. Le gabarit de cette collection est vraiment satisfaisante en main. Le livre ne dispose d’aucun effet particulier de finition externe, mais il jouit d’un graphisme tellement atypique qu’il attire le regard, en particulier ce jaune criard qui contraste énormément avec le propos du livre. Les 3 pages en couleur au début de l’ouvrage sont superbes et offrent une entrée colorée et douce en matière. Côté traduction et lettrage, rien à redire, tout m’a semblé parfaitement cohérent et bien exécuté. 

Au-revoir ? 

Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas prêt de dire “Au-revoir” à Akane Torikai de si tôt, j’ai été convaincu de sa maîtrise du récit dans Saturn Return et je vais m’intéresser plus sérieusement au reste de sa bibliographie. Elle m’intrigue d’autant plus, maintenant que je sais qu’elle a un lien fort avec Inio Asano qui est un auteur que je trouve absolument fascinant. Je vais me renseigner sur d’autres synergies entre leurs œuvres.

Big

Un mélange efficace entre un récit de type tranche-de-vie et une enquête. 

Des cases très riches pour des moments très contemplatifs. 

Une excellente caractérisation des personnages. 

Une expérience de lecture très agréable, malgré des thèmes lourds.

 

Little

Il est encore un peu difficile de cerner la direction que va prendre la série par la suite.

 

Akane Torikai maîtrise parfaitement sa narration et sa mise en scène, et elle le prouve une fois de plus avec Saturn Return. Récit aux multiples facettes, mais toujours agréable à suivre grâce à un souci du détail et du rythme très efficace. Il est donc vraiment difficile de trouver quoi que ce soit à redire face à une telle qualité. Cependant, Saturn Return n’est pas un manga qui plaira forcément à tout le monde, car les thématiques sont fortes, voire lourdes.

L’affolante page en fin de tome annonçant certains événements à venir indiquent un pas supplémentaire en direction d’une fresque dépeignant un véritable mal-être. De mon côté, je suis impatient de découvrir la suite de l’enquête sur les mystères entourant le suicide de Nakajima.

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