My Broken Mariko
One Shot
My Broken Mariko
Auteur : Waka Hirako
Editeur : Ki-oon Seinen
Date de Sortie : 28 janvier 2021
Genre : Drame / Tranche-de-vie
Big Découverte

Avertissement spoilers : My Broken Mariko est une œuvre profonde et sensible qui revisite les différentes étapes du deuil. Je suis donc obligé de dévoiler les éléments principaux du récit pour soutenir mes propos.

Deuil

Le deuil est une étape importante qui fait obligatoirement partie de la vie de chacun. La perte d’un proche peut frapper n’importe qui à tout moment. Pourtant, personne ne peut prétendre y être insensible ou parfaitement préparé. Ce moment marque le début d’un voyage qui commence obligatoirement par un état de choc et se termine normalement par une forme d’acceptation. La durée de ce voyage est propre à chacun.

Il existe plusieurs schémas expliquant les différentes étapes du deuil, proposant des structures et un nombre de phases pouvant légèrement varier. Ce qui est néanmoins constant, c’est la forme en “U” de ces représentations. Le début de cette forme symbolise l’altitude à laquelle se situe notre mental avant d’apprendre le décès. L’esprit commence par dégringoler sur une pente raide. Puis, il passe par le déni, la colère et le marchandage. La chute se termine au “fond du gouffre”, dans le creux du “U”. Il s’agit là de la phase de tristesse et de dépression. C’est l’étape la plus difficile et dont la durée peut largement varier selon les individus. Certains y restent des années sans trouver le courage de remonter. Pourtant, c’est en escaladant cette pente raide qu’il est possible d’accepter cette situation irréversible et aller de l’avant.

Tomoyo

Tomoyo n’était absolument pas préparée à entreprendre le voyage du deuil. Dès la première page du premier chapitre, elle apprend, par hasard, le décès de sa meilleure amie Mariko.

Durant les trente pages suivantes, après une très courte période de déni, Tomoyo va se laisser porter par une rage irrépressible envers le père de Mariko dont elle connaissait le comportement violent et abusif envers sa fille. Armée d’un couteau, elle s’introduit chez lui et vole l’urne funéraire après une altercation violente qui finit par la fuite de Tomoyo qui saute par la fenêtre.

Cette chute est très intéressante car elle symbolise justement cette dégringolade sur la pente raide du “U” pour tomber dans la phase de la tristesse.

La suite du récit se déroule dans une autre ville inconnue de Tomoyo, au bord de la mer. Tous ses repères sont perdus, tant moralement que géographiquement. C’est dans cet état d’errance que continue la majeure partie de ce voyage. Différentes scènes servent de métaphores pour représenter les tourments de cette jeune femme qui aurait simplement voulu dire au revoir à sa chère amie. Elle est hantée par les souvenirs qui lui font réaliser toute la détresse que ressentait Mariko, elle en était au courant mais elle n’avait pas réalisé l’ampleur (ou ne voulait pas la réaliser), malgré les signes de maltraitance et d’auto-mutilation.

Tomoyo marchande, se bat, mais finalement elle abandonne. Elle touche littéralement le fond lorsqu’elle tombe à l’eau depuis une falaise après une tentative de suicide durant laquelle elle perd les cendres de son amie. C’est à ce moment-là qu’elle décide de remonter à la surface.

Cassée mais vivante, elle rentre chez elle. Elle remonte la pente du “U”, celle qui mène à l’acceptation, en gravissant les escaliers jusqu’à chez elle, le pied dans le plâtre et munie de béquilles, métaphore de l’effort que représente cette ascension.

Dans son courrier, elle trouve une lettre que Mariko lui avait adressée avant de se donner la mort. Ce qui permet finalement à Tomoyo d’ancrer cette séparation mentalement pour ne plus avoir à la subir comme une errance. Elle parvient à faire ses adieux. Le manga se conclut de cette manière, sans révéler le contenu de la lettre.

L’histoire se conclut aussi rapidement qu’elle ne démarre, précisément au commencement et à la fin du “U” représentant les étapes du deuil. Il n’y a ni prologue, ni épilogue.

L’espoir personnifié

Le voyage de Tomoyo au bord de la mer est ponctué par l’intervention d’un mystérieux pêcheur inconnu. Il apparaît à chaque fois qu’elle semble désespérée.

Je pense que cet inconnu est simplement une personnification de l’espoir de Tomoyo. Ses apparitions relèvent presque du miracle apportant une lueur dans les ténèbres qui l’envahissent. C’est même littéralement le cas lorsqu’il l’éblouit en pleine nuit alors qu’elle dort ivre morte sur un banc public.

C’est sa présence qui permet à Tomoyo de ne pas se suicider. En tant que pêcheur, il ne pêche finalement pas que des poissons, il repêche aussi une femme dévastée et perdue qui a plongé dans le désespoir.

Des dessins spontanés

Visuellement, My Broken Mariko est particulier. La première impression se fait avec cette couverture si forte qui dégage tant de tristesse. Je reviendrai plus en détail sur cette couverture au paragraphe suivant. J’ai été surpris en découvrant des dessins très spontanés au fil des pages. Certaines cases sont à la limite du croquis mais elles dégagent néanmoins une rare puissance dans les émotions. Les dessins contrastent fortement avec le style graphique précis et détaillé de la couverture, mais offrent une lecture facile et agréable.

Le dessin de couverture est très intéressant à analyser. Cette couverture oppose deux lignes de force principale en forme de X. D’une part l’inclinaison de la tête de Tomoyo, d’autre part l’inclinaison du corps ainsi que celle du titre. Dans la grammaire graphique, une inclinaison vers le bas d’un élément visuel représente une chute, un déclin, tandis qu’une droite (ou une courbe) ascendante aura une symbolique de progression positive. Je rappelle qu’à l’instar du contenu du manga, cette image doit également être lue en sens de lecture Japonais, malgré le fait que le texte se lise de gauche à droite. Il faut donc observer cette couverture de droite à gauche.

Le texte “My Broken Mariko” est finalement un élément graphique en plein déclin, il représente la chute de Tomoyo dans la dépression. La tête de la jeune femme, malgré toute la détresse qu’elle affiche, montre une ascension, elle va de l’avant en sortant la tête de l’eau. La couleur bleue du ciel peut être également interprétée comme étant de la tristesse ou de la mélancolie, alors que le jaune vif représentant Mariko est une couleur de vie, d’espoir et de force. La symbolique est très intéressante, Mariko est finalement la cause de la tristesse de Tomoyo (représenté par l’inclinaison vers le bas), mais elle représente aussi sa force de vivre et son espoir (représenté par le jaune). Les symboles s’entremêlent et résument parfaitement le voyage émotionnel de Tomoyo. Le tout repose sur une base visuelle oblique qui penche vers le bas, rappelant aussi la fragilité du personnage malgré tout.

Je pourrais disserter sur la composition de cette couverture pendant encore plusieurs pages, tant il y aurait encore des choses à dire.

Une très belle édition

My Broken Mariko est la première œuvre de l’auteur, mais l’enthousiasme et le succès qu’elle a suscité au Japon lui a permis de bénéficier d’un magnifique grand format “de luxe” dans son édition française avec notamment des effets très élégants dans la finition de la couverture (embossage du titre, texture gaufrée). Une fois de plus, Ki-oon se permet de faire confiance à un auteur méconnu en France en lui offrant un travail d’édition prestigieux et une page couleur en début de tome.

 

Page de l’œuvre sur le site de l’éditeur

 

Big

Un récit entier construit sur un schéma représentant le deuil.

Une symbolique forte.

Des dessins très expressifs.

Une édition de qualité.

J’ai trouvé que le récit aurait pu bénéficier d’un développement un peu plus long. Il se conclut en 150 pages et enchaîne sur une nouvelle de l’auteur qui ne m’a pas beaucoup intéressé après avoir lu l’histoire principale. D’autant plus que je n’étais pas au courant de la présence de cet appendice. J’ai donc été pris de court lorsque l’histoire de Tomoyo et de Mariko se termine à la page 150 d’un livre de 200 pages.

J’ai d’abord été attiré par la puissance de la couverture de My Broken Mariko. Bien que le style visuel à l’intérieur du livre soit beaucoup plus spontané que je ne le pensais, j’ai été transporté par les émotions de Tomoyo et le voyage de son deuil.

En 150 pages, l’auteur parvient à proposer une leçon intelligente et complète sur les différentes étapes du deuil et sur l’espoir. Je suis très impressionné et je me réjouis de découvrir ses prochaines productions.

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