Mission : Yozakura Family
Volumes 1 à 4
❤ Coup de Coeur !!
Auteur : Hitsuji Gondaira
Editeur : Kana
Date de Sortie : 17 septembre 2021 (tome 4)
Genre : Aventure / Comédie
Big Découverte

Mission : S’infiltrer en version française

Le marché du manga francophone est extrêmement réactif. Une nouvelle série débutant au Japon a toutes ses chances d’arriver dans nos contrées moins de deux années suivant son lancement. C’est pourquoi j’ai toujours été très attentif aux nouveautés japonaises, et particulièrement celles qui ont le privilège de figurer dans le Weekly Shônen Jump, le célèbre magazine à l’origine d'œuvres telles que Naruto, Dragon Ball ou encore One Piece.

J’avoue que lorsque la sérialisation de Mission : Yozakura Family a commencé dans le Jump, je ne m’y étais pas du tout intéressé. Mon attention n’était attirée ni par le titre, ni par ses dessins qui me semblaient trop quelconque. Quand l’acquisition de la licence a été annoncée par les éditions Kana après à peine une année de parution au Japon, mon désintérêt pour ce titre était encore intact. De plus, le premier tome est sorti en français seulement quelques mois après une autre nouveauté qui avait su capter mon attention : Spy X Family (chez une autre maison d’édition). Toujours très peu renseigné sur Mission : Yozakura Family, j’étais alors persuadé d’une évidente redondance entre ces deux titres et je m’en suis éloigné davantage.

J’avais évidemment tout faux. Il est absolument possible de raconter pleins d’histoires différentes avec des familles d'espions !

Mission : Gagner la confiance

Ce n'est que bien après le début de sa parution en français, que la série de Hitsuji Gondaira a commencé à réellement chatouiller ma curiosité. C’est à partir de la parution des derniers tomes au Japon et leurs superbes couvertures que j’ai commencé à m’y intéresser. Alors que les 4 premiers tomes offraient des illustrations vraiment intéressantes à mes yeux, les couvertures de la suite sont d’une rare délicatesse aux compositions et couleurs élégantes et maîtrisées, comme si l’auteur s’était finalement émancipé d’une peur de voir sa série annulée. Je rappelle que la survie d’une série au sein du Weekly Shōnen Jump est constamment menacée durant (environ) son premier semestre de parution. Le moindre faux-pas ne plaisant pas au public peut mener à une annulation pure et simple. Heureusement, à l’heure où je rédige ces lignes, le manga vient de publier son centième chapitre au Japon et fait partie des titres correctement installés dans le magazine. Est-ce que la créativité et la technique de l’auteur se sont épanouies lorsque l’épée au-dessus de son manga est devenue moins menaçante ?

Mission : Créer une romance originale

Le point de départ de l’histoire de Mission : Yozakura Family est une histoire d’amour pas comme les autres. Alors que de nombreux mangas dépeignent les relations amoureuses entre lycéens de manière clichée, niaise, voire maladroite, la relation entre Taiyô et Mutsumi est très claire dès le début : Ils s’apprécient depuis l’enfance. Malheureusement, cette attirance mutuelle est un danger pour Taiyô, car la famille Yozakura dont est issue Mutsumi a des règles et des membres très spéciaux. Elle est la cheffe héritière d’une lignée d'espions aux compétences et caractères variés. Ces derniers mettront tout en œuvre pour la protéger de tous ceux qui s’en approchent de trop près, et nombreux sont les prétendants à son assassinat.

Kyôichirô, l’aîné de la famille, et maladivement dingue de sa petite sœur, juge donc que Taiyô est devenu trop proche de Mutsumi et doit être éliminé. Le seul moyen de survivre et de stopper cet assaut impliquerait aux deux lycéens d’enfiler sur leur annulaire l’alliance des Yozakura, bijou symbolisant leur union immédiate et par conséquent l’entrée dans la famille, permettant ainsi de bénéficier de sa (relative) protection au lieu d’en être la cible à abattre.

La relation entre Mutsumi et Taiyô est simple et établie. Le manga peut donc se permettre de ne pas devenir une comédie romantique quelconque. Mieux encore, le récit puise dans cette drôle d'union pour renforcer la caractérisation des personnages de manière plutôt efficace.

Mission : Développer les liens familiaux

Taiyô est catapulté dans une famille très nombreuse. Au volume 4, Mutsumi a quatre frères et deux sœurs, mais je pense que de nouvelles têtes vont apparaître par la suite. Chaque membre des Yozakura a sa propre histoire ainsi que ses propres aptitudes et ne demande qu’à être introduit et développé. Contrairement à des mangas où le héros rencontre de nouveaux compagnons de manière diffuse au fil des tomes, Hitsuji Gondaira en propose d’emblée une dizaine. C’est la principale raison pour laquelle la série est pour le moment encore découpée en histoires courtes s’étendant sur un chapitre ou deux. De cette manière, tous les personnages peuvent suivre un développement cohérent et peu précipité afin de s’installer dans le récit pour la suite. C’est un choix extrêmement important pour apprécier le titre sur le long terme, mais reste très risqué sur le court terme pour ne pas perdre des lecteurs qui attendent des arcs scénaristiques plus conséquents.

Chaque membre de la famille Yozakura exerce une influence sur Taiyô, véritable éponge qui se gonfle du savoir de ses nouveaux beaux-frères et belles-soeurs. L’évolution de ses capacités est fulgurante, ce qui le propulse rapidement dans la vie active d’espion. Cet apprentissage est essentiel pour qu’il soit lui-même capable de défendre son épouse contre les innombrables assauts dont elle est quotidiennement la cible. J’ai trouvé que ce développement rapide du personnage est à nouveau un joli revers envers certains codes du shônen manga dans lesquels l’évolution et l’entraînement du héros occupent une place très (trop) importante. Dans les 4 premiers tomes de Mission : Yozakura Family, les phases d’entraînement sont expédiées en un seul chapitre et offrent une belle mise à niveau à Taiyô qui n’a rapidement plus rien à envier à un jeune James Bond. Mais l’univers de ce manga n’est justement pas un James Bond, et bien que le personnage principal possède déjà des compétences bien au-dessus de ce que la plupart du commun des mortels rêverait d’avoir, il se fait rapidement rappeler à l’ordre par le reste des espions. La marge de progression de Taiyô vis à vis de ces derniers permet de comprendre la puissance vertigineuse des autres personnages de l'œuvre. La suite des événements promet d’être absolument spectaculaire.

Mission : Bâtir un univers complexe et cohérent

La succession de petites scènes qui composent le récit sont néanmoins saupoudrées de quelques indices qui évoquent un passé très sombre chez les personnages principaux. Une ébauche de fil rouge apparaît d’ailleurs avec l’intention de Taiyô de découvrir les circonstances de l’accident qui l’ont rendu orphelin.

Mais Taiyô n’est pas le seul à porter un passé sombre, et l’auteur parvient à jouer du fait que plusieurs autres personnages ont vécu de lourdes pertes familiales. C'est notamment le cas lorsqu'il introduit le grand-père des Yozakura dans le récit. Aussi puissant que loufoque, le discours ambigu du doyen de la famille vis-à-vis de son épouse trompe le lecteur - ainsi que Taiyô - pour faire croire à un nouveau deuil. Une fois de plus, l’auteur est capable de surprendre et de manipuler les conventions.

Ce grand-père est également un bon exemple du ton du manga qui baigne en permanence dans l’autodérision et l’humour alors qu’une certaine mélancolie plane constamment dans l’atmosphère et offre une ambiance particulière qui contribue à l’identité de l'œuvre. Gondaira est capable d’aborder des thèmes sérieux et lourds de sens, tels que le deuil ou l’acceptation de soi avec une certaine élégance et légèreté. Je pense notamment à ce chapitre se concentrant sur Nanao, le petit frère de Mutsumi. Son corps difforme est une arme redoutable et ses capacités sont indispensables pour leurs activités mais derrière son allure gargantuesque, il existe un petit garçon ordinaire qui cherche sa place dans la société. Ce chapitre est particulièrement marquant dans son propos, et dans le traitement graphique du petit Nanao et de son corps instable.

Dans Mission Yozakura Family, chaque personnage a de multiples dimensions, et porte son propre fardeau et/ou passé sur ses épaules. Le seul personnage qui a l’air d’être parfaitement lisible et mono-dimensionnel c’est Kyôichirô, l’aîné des Yozakura. Mais malgré les apparences et son comportement excentrique, je suis persuadé que ses intentions sont beaucoup plus profondes que ce qu’il ne laisse entrevoir. Derrière ses agissements possessifs et ses agressions répétées envers Taiyô, c’est quand même grâce à lui que le protagoniste progresse aussi vite et qu’il a pu épouser Mutsumi. Je trouve que Kyôichirô est un des personnages les plus intéressants jusqu’ici et je suis vraiment curieux de la suite de son développement.

L’univers du manga possède des règles cohérentes mais complexes. Ce monde de l’espionnage qui existe secrètement dans la société est original et possède une marge de développement immense. De plus, les règles inhérentes à la famille Yozakura sont très originales : Les capacités propres à chaque membre et leur organisation autour d’une cheffe dépourvue de compétences de combat mais qui possède la faculté d’engendrer la future génération d’espions Yozakura, la propulsant aussi au rang de cible à abattre chez les factions adverses. C’est une idée très intéressante.

Mission : Viser la rétine

Le style graphique est plutôt conventionnel, mais le tout est toujours très dynamique et expressif. D’ailleurs, à l’instar des couvertures qui deviennent de plus en plus élégantes, le style s’affine également au fil des tomes. Je trouve lecharacter design très réussi et plein de bonnes idées et surprises. J’aimerais évoquer la mèche rebelle en forme de spirale de Taiyô que j’ai mis plusieurs chapitres à remarquer, et qui me fait sourire. La mèche blanche de Mutsumi, rappel constant d’un événement tragique de son passé, est également une bel ajout dans son développement visuel.

Du côté de l'édition, Kana proposent leur format poche shônen classique, mais un soin particulier est apporté au logo-titre qui bénéficie d’une dorure à chaud argentée du plus bel effet, faisant écho au métal chromé des nombreuses armes présentes dans le récit. Des éditions spéciales (fourreau collector, jaquettes alternatives, ex-libris) existent également, preuve que l’éditeur est aux petits soins avec ce titre.

Mission : Lire ce manga

En conclusion, je trouve que Mission : Yozakura Family est un shônen manga vraiment original qui n’hésite pas à bouleverser certaines conventions du genre. Contrairement aux lecteurs qui ont commencé dès le début de parution en mars 2021 et dont certains éprouvent une lassitude à lire des petites histoires individuelles chapitre après chapitre, j’ai eu la chance de dévorer les 4 tomes en une semaine (merci encore aux éditions Kana et à Dargaud Suisse de m’en avoir offert l’opportunité). De cette manière, j’ai pu me rendre compte de la profondeur et la complexité de l’univers qu’est en train de bâtir Hitsuji Gondaira qui, je pense, prépare un terrain qui va bientôt accueillir des arcs scénaristiques très denses et plus longs. C’est effectivement un parti pris plutôt risqué et je comprends parfaitement le sentiment de stagnation qu’éprouvent les lecteurs qui suivent les aventures de Taiyô et sa nouvelle famille depuis la première parution. Le faible suspense entre chaque tome n’aide pas non plus, mais je suis convaincu que leur patience sera bientôt récompensée. Cette structure me fait un peu penser à un autre manga que j'affectionne beaucoup : Reborn, également issu du Weekly Shônen Jump, et dont les arcs scénaristiques intenses sont arrivés après plusieurs tomes de scénettes comiques.

Un récit très profond à l’univers en pleine construction

Des illustrations de couverture qui s’améliorent tome après tome (et qui deviennent magnifiques)

Un éventail de personnages aux développements très intéressants

Kyôichirô, tout simplement.

La structure des premiers tomes peut provoquer de la frustration, surtout en attendant 2 mois entre chaque volume.

Un humour omniprésent qui désamorce parfois trop certaines situations.

Je suis heureux d’avoir pu découvrir les quatre premiers volumes d'introduction de Mission Yozakura Family d’une seule traite. L’univers aux règles complexes et aux personnages multiples se met en place lentement mais sûrement et promet une suite des plus spectaculaires.

L’originalité du propos, la profondeur des thématiques et le soin apporté au développement des personnages font de Mission : Yozakura Family une franche réussite à mes yeux. C’est un coup de cœur inattendu pour un titre dont j’étais très curieux et qui n'hésite pas à bousculer les codes du shônen manga. Je ne soupçonnais pas une telle qualité. Vivement le tome 5 !

 

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