Isekai : l’autre monde
Rappelez-vous, dans cet article, je détaillais le concept de Isekai. Il s’agit d’histoires où des personnages, généralement de banals humains, se retrouvent transportés dans un autre monde souvent magique et régi par les codes de l’héroic fantasy et se basent généralement plus précisément sur les codes des jeux de rôles (RPG). Style très à la mode qui a rapidement saturé le marché du manga, il a fallu trouver des moyens de renouveler l’intérêt en apportant des propos qui prennent justement à revers ce concept, comme le fait d’incarner un ennemi plutôt que le héros ou encore de proposer un (ou plusieurs) héro(s) au comportement fortement en décalage avec l’univers dans lequel il tombe.
Furyo : Les racailles
Le furyo est un autre genre de manga qui était au pic de sa forme dans les années 90. C’est un genre complexe : Dans la forme, c’est souvent réduit au rang d’histoire de gangs de jeunes voyous qui se battent. Mais dans le fond, il y a des thématiques très fortes sur le sentiment d’appartenance, l’amitié, la loyauté, le mal être et bien d’autres. Le furyo tente régulièrement de redorer son image en territoire francophone avec quelques titres qui se démarquent, mais il est encore loin du phénomène culturel qu’il représente au Japon.
Isekai + racailles = Iserakai
Vous l’aurez compris, si je détaille ces deux genres de manga que finalement tout oppose, c’est parce que l’auteur Hiromasa Okujima tente le pari fou de les combiner pour créer le Iserakai. Depuis que j’ai lu ce jeu de mot sur Twitter, je suis vraiment frustré de ne pas y avoir pensé moi-même car c’est absolument brillant. (Note : si le créateur de ce terme lit ces lignes, il faut me contacter car je veux absolument le créditer dans l’article.)
Ryuji est un jeune lycéen blasé et frustré à l’idée qu’un jour il aura une vie banale en reprenant l’entreprise familiale. Son échappatoire à la frustration, c’est la baston. Accompagné de son gang composé de trois autres voyous, il provoque toutes les bandes aux alentours. Mais Ryuji est trop fort, il n’y aucun challenge capable de lui faire ressentir de l’excitation. C’est à ce moment qu’ils se retrouvent tous les quatre transportés dans un autre monde.
Une des premières règles d’un voyou c’est de justement ne pas respecter les règles. Alors que se passe-t-il quand des racailles débarquent sans le savoir dans un monde particulièrement codifié comme un RPG ? Vous l’aurez deviné, ils font absolument n’importe quoi.
Un terrible monstre-arbre se dresse sur leur chemin ? Un joueur de RPG tentera une approche avec des sorts élémentaires de feu pour exploiter sa faiblesse ou brandira son épée enchantée pour lui infliger un certain type de dégât. De son côté, Ryuji n’en a que faire des conventions, il va chercher une tronçonneuse et s’en servir pour abattre ce monstre comme un bûcheron. Quoi de mieux pour vaincre un arbre ?
Très vite, ils vont se faire repérer par les autochtones qui vont leur enseigner certaines spécificités de ce monde. La bande de racailles va vite comprendre que leur aventure va les mener à affronter le Roi du Mal et qu’ils sont destinés à sauver ce monde.
Entre parodie et aventure
La première intention de ce manga est évidemment de proposer une vision parodique et simplifiée des codes du RPG qui fera particulièrement rire les habitués du genre. Comment une bande de voyou va réagir face à un Slime (ennemi conventionnel de début d’aventure dans ce genre de jeu) ? Comment vont-ils appréhender le fait qu’ils ont des classes de personnages et des niveaux ? Bien que cette démarche donne lieu à des scènes vraiment tordantes, le titre ne se contente pas de déconstruire chaque standard du jeu de rôle en l’opposant à un comportement de racailles. Quelques indices laissent présager des enjeux beaucoup plus importants qui vont très certainement être au centre du récit dès le prochain tome. En faisant intervenir une deuxième bande de racailles, j’imagine que ces deux groupes seront à la fois rivaux et forcés de collaborer pour vaincre la menace qui plane sur cet autre monde.
Archétypes
La caractérisation des personnages principaux est très simple. Ils possèdent tous un trait de personnalité principal qui est exacerbé au maximum afin d’offrir des scènes comiques qui fonctionnent mais qui sont prévisibles. Cela reste donc efficace mais très conventionnel. En quelque sorte, l’imprévisibilité de leur réaction face à cet autre monde est prévisible du point de vue des lecteurs, bien qu’elle soit généralement très drôle.
Contrairement à la bande de Ryuji qui connaît les codes du RPG, les personnages secondaires, voire les ennemis, sont à mon sens plus intéressants car ils ne comprennent pas leurs agissements et propos de ces humains qui arrivent dans leur monde. Cette lucidité à sens unique donne lieu à des scènes très amusantes.
Des dessins qui tabassent
Une des précédentes séries de l’auteur, Assistant Assassin, est déjà disponible en version française grâce aux éditons Omaké Books et j’ai personnellement une certaine affection pour le trait, et le découpage de l’auteur que je trouve très précis et détaillé, mais toujours parfaitement lisible. Le character design est relativement conventionnel mais efficace. Les environnements, de toute beauté, sont très détaillés et généreux. Je mettrais néanmoins un petit bémol sur les expressions faciales assez inégales dans leur pertinence et également le fait que l’auteur semble avoir beaucoup de mal à représenter des personnages très jeunes. Je pense notamment à la petite fille qui apparaît au début du récit et qui semble simplement avoir une tête adulte sur un petit corps.
Une édition qui frappe fort
J’ai été particulièrement satisfait par le travail de traduction et d’adaptation. Le vocabulaire des voyous est tout à fait actuel grâce à des termes spécifiquement empruntés à la jeunesse d’aujourd’hui. Les tournures de phrases également semblent complètement naturelles et appropriées vis-à-vis des personnages qui discutent.
Je ne suis néanmoins pas totalement convaincu par le choix graphique pour le titre sur la couverture. Représenter les racailles par un graffiti et l’autre monde avec des lettres “pixel” faisant référence au jeu vidéo, c’est presque un peu trop cliché à mon goût. Mais la nature parodique exagérant justement les clichés justifie totalement ce choix.
Une réinterprétation originale du Isekai.
Les références parodiques aux codes du RPG sont très drôles.
Un travail de traduction et d’adaptation remarquable.
Quelques scènes d’anthologie.
J’espère que la série ne s’éternisera pas sur des dizaines de tomes.
Quelques soucis d’expressions faciales et de proportions.
Ce premier tome est une agréable surprise qui contient déjà quelques scènes d’anthologie. Le cocktail racailles + isekai est explosif et fonctionne drôlement bien. Je suis vraiment curieux du développement de la suite des aventures de Ryuji et sa bande de racailles.
Je pense que c’est une série qui peut briller si elle parvient à ne pas s’essouffler en s’étirant sur un nombre de tomes trop élevé.