Kowloon Generic Romance
Volumes 1 à 3
❤ Coup de Coeur !!
Auteur : Jun Mayuzuki
Editeur : Big Kana
Date de Sortie : 21 mai 2021 (tome 1)
Genre : Tranche-de-vie / Fantastique
Big Découverte

Kowloon ?

Démolie au début des années 1990, la Citadelle de Kowloon est un lieu aussi effrayant que fascinant. Véritable ville fortifiée, les habitations y sont collées les unes aux autres pour former un étonnant complexe de béton. Les rues n’y existent pas vraiment, les appartements, commerces et restaurants se trouvent ou se découvrent en parcourant les couloirs étroits et labyrinthiques de cet amas de bâtiments.

Comme la cité est limitée sur une surface fixe, le seul moyen de se développer est de s’étendre verticalement, quitte à priver intégralement les habitants du rez-de-chaussée de la lumière du soleil. Étouffante, sale et inquiétante, la cité de Kowloon s’est rendue célèbre comme lieu de non-droit où trafic de produits illicites et banditisme sont légion.

La densité d’habitants à Kowloon est démesurément élevée, quasiment 2 millions d’habitants au km². A titre de comparaison, la densité de la population parisienne en 2022 est d’environ 21’000 habitants par km². C’est une donnée vraiment difficile à imaginer qui relève presque de l’abstrait.

Paysage impressionnant pour ses raisons et bien d'autres, Kowloon est une cité qui a su émoustiller certains créateurs de par sa construction si particulière et la société qui s’y est créée. Dans la Pop Culture, le premier exemple qui me vient évidemment en tête est le jeu vidéo Shenmue 2 sorti en 2002 et dont tout une partie du jeu se déroule justement à Kowloon (du moins l’interprétation que se sont fait Yu Suzuki et son équipe). En 2010, un opus de la série de jeux vidéo mondialement connue et vendue à des dizaines de millions d’exemplaires Call of Duty s'en sert également comme champ de bataille pour une de ses missions.

Du côté de l’animation japonaise, la ville de New Port City dans le film Ghost in the Shell est également inspirée de cette citadelle fortifiée.

Et en manga, il y a quoi ?

Il y a Kowloon Generic Romance, manga publié aux éditions Kana, scénarisé et dessiné par Jun Mayuzuki. Cette autrice est déjà connue en France avec Après la Pluie, série en 8 tomes parus chez le même éditeur.

Romance ?

Reiko Kujirai est une jeune femme d’une trentaine d’année vivant à Kowloon. Derrière ses faux-airs de femme fatale avec son regard hautain et sa cigarette, c’est un personnage calme, sachant apprécier les petits plaisirs de la vie. Elle travaille dans une agence immobilière. Forcément, dans une ville comme celle-ci avec ses millions d’habitants, l'immobilier est une activité essentielle. Parmi ses collègues de travail, il y a Hajime Kudo, homme du même âge dont l’attitude est aussi nonchalante que son improbable coiffure. Derrière son apparence négligée, se cache un homme qui vit dans un passé plein de regrets et de secrets.

Une complicité, voire une attirance est rapidement palpable entre ces deux personnages mais cette relation semble teintée des mystères qu’ils subissent chacun à leur manière. De lourds secrets ont l’air directement liés à la cité de Kowloon et à Generic Terra, une curieuse construction suspendue dans le ciel censée être le futur nouveau foyer de l’humanité.

Je n’en dirai pas plus sur le synopsis, car la découverte et la surprise en valent la peine. Je pense notamment à certaines scènes, rien que dans le premier tome, qui m’ont vraiment frappé et m’ont convaincu de l’aura si particulière et captivante de ce manga.

Habituellement, quand un scénario me laisse mijoter dans un bain de mystères et ne distille pas assez de clés de compréhension à mon goût, je me sens vite frustré. Pourtant, depuis 3 tomes de Kowloon Generic Romance, je me laisse bercer au gré de ce que Jun Mayuzuki veut bien révéler entre quelques chapitres “tranche-de-vie” montrant le quotidien professionnel et sentimental Reiko. Mais toutes les scènes sont parsemées de cette étrange impression que quelque chose d’incompréhensible mais de grave plane dans l’air. Les enjeux ne sont donc pas clairs, mais ils sont d’ores-et-déjà inquiétant, c’est une belle performance scénaristique !

Revenons dans l'histoire réelle de cette cité quelques instants. Je suis persuadé que le fait qu’elle ait été rasée de la carte au début des années 1990 est une information qu’il vaut mieux garder en tête pendant la lecture du manga. La fiction rattrapera-t-elle la réalité ?

Ce qui est certain, c’est que le manga est bien plus qu’une comédie romantique. Les lecteurs à la recherche d’un titre de ce type risquent d’être étonnés.

Generic ?

Le nom de Kowloon Generic Romance renferme aussi sa part de mystères. Quand on parle de quelque chose de générique, la connotation peut être perçue comme négative. Par exemple, une romance générique serait une romance comme n’importe quelle autre, voire banale. Mais comme ce n'est pas le propos du récit, la définition de generic doit être ailleurs.

En pharmacologie, un générique est une copie généralement bon marché d’un médicament. C’est une information qui peut être intéressante, compte tenu de certaines thématiques récurrentes ainsi que la présence d’un certain docteur plutôt inquiétant avec sa langue fendue et qui a l’air de bien connaître certains personnages à leur insu.

Finalement, generic est aussi un adjectif lié au mot genre en biologie, comme dans genre humain. Que peut bien vouloir dire une romance générique dans ce cas ? Une étude du genre humain et de ses romances ? Cette information met une drôle de distance entre le lecteur les protagonistes, comme si il s'agissait de les observer comme des sujets d'étude. Avec certains indices parsemés dans les tomes 1 à 3, je pense qu’une piste de compréhension peut être considérée, à voir avec le tome 4.

Kowloon Generic Romance est donc une romance qui est tout sauf générique.

Ambiance 90’s

Afin de mettre en valeur l’ambiance particulière de la cité de Kowloon et de l’époque à laquelle cette histoire se déroule, les éditions Kana ont opté pour un remaniement complet de l’aspect des couvertures originales. Seule l’illustration principale mettant en scène Kujirai est maintenue. Alors que dans la version japonaise, le fond est très épuré et blanc, la version française présente cet amas d’appartements, le tout teinté d'une couleur nocturne. Rappelez-vous qu’à Kowloon, la lumière du soleil n’atteint que rarement les étages inférieurs, ce sont des éclairages artificiels qui illuminent majoritairement la cité. Ces lumières sont également représentées sur la couverture française grâce à des lettres rappelant des néons à l'aspect très “années 90”. Nous sommes donc loin des couvertures japonaises sobres et leurs typographies noires, fines mais plus imposantes. Je vous invite à aller voir ces couvertures en ligne pour constater la différence de ton.

C’est un choix qui a été un peu contesté sur certains réseaux sociaux. Mais personnellement je le trouve parfaitement justifié. Avec un nom déjà plutôt trompeur, le manga aurait eu beaucoup de mal à faire passer un semblant d’intention, s'ils avaient conservé l'aspect très épuré des tomes japonais. Avec la quantité de titres disponibles et les goûts de chacun, des lecteurs réfractaires aux romances auraient simplement pu passer à côté. Et ce serait bien dommage tant Kowloon Generic Romance est fascinant !

Jun Mayuzuki a cette capacité de figer le temps pour s’attarder sur des scènes sans réelle importance, de manière très douce. Par exemple, plusieurs cases permettent d’observer Kujirai déguster un bout de pastèque en fumant sa fidèle cigarette. Je n’ai jamais fumé, et pourtant j’ai l’impression de goûter à cette cigarette et à cette pastèque en même temps qu’elle.

Mes sens sont transportés dans les cases du manga et me font entendre le brouhaha et sentir les odeurs de Kowloon. Je peux goûter des plats que Hajime et Reiko dégustent dans leurs restaurants habituels. L’attention que porte l’auteur aux détails dans ses décors est réellement déboussolant et contribue à rendre cette cité très crédible, vivante, palpable.

Les dessins, et notamment les personnages, ont une touche old-school assez marquée, tout en étant très moderne dans le traitement. Le résultat donne un résultat assez détonnant, mais personnellement je trouve que c'est d’une rare beauté. Aucun “fan-service” n’est réellement à déplorer, si ce n’est une ou deux cases un peu plus osées, mais ce manga n'est vraiment pas pensé pour émoustiller le lecteur. Je me permets cette précision, car j’ai lu quelques avis de personnes réticentes, qui pensent que le manga capitalise beaucoup sur cet aspect, à cause d’un ou deux dessins extraits du premier tome.

La cité de Kowloon, vivante, palpable, impressionnante.

Jun Mayuzuki et son obsession du détails dans ses dessins

Un dépaysement complet.

Tant de mystères qui attendent d’être démêlés.

Il faut être prêt à se laisser porter et accepter de ne pas tout comprendre.

Le nom de la série peut éloigner les réfractaires aux romances.

Kowloon Generic Romance est une magnifique surprise. Sans savoir à quoi m’attendre, mais curieux grâce à mes maigres connaissances sur la cité de Kowloon, j’ai été époustouflé dès les premières pages. L’auteur impose son rythme et une ambiance d’une vraie douceur dans ce voyage confiné entre les murs de cette cité en béton. L’atmosphère est lourde dans ces rues insalubres, et les personnages en souffrent. Ils ne sont rien face à l’ampleur de ce qui a l’air de les attendre au-delà de la ville, mais une romance générique prend place au milieu de tous ces secrets bétonnés. Une de mes découverte préférée de 2021, et donc un immense coup de coeur !

 

TwitterTwitter
FacebookFacebook
WhatsappWhatsapp