Gris
Gris
Console : Nintendo Switch
Studio : Nomada
Editeur : Indie
Date de Sortie : 13 Décembre 2018
Genre : Plateforme 2D

Petit avertissement : Gris est un jeu dont l’histoire n’est pas explicite. Tout est évoqué sous forme de métaphores dont je vais parler dans ces lignes. Personnellement, je ne considère pas que c’est réellement du spoil, mais je préfère prévenir si vous avez envie de vivre le jeu sans avoir quelques indications d’interprétation en tête.

Conrad Roset est un artiste venant du monde de la publicité. Il excelle dans l’art de manier les couleurs et de les jeter sur ses canevas pour créer des compositions opposant ses traits particulièrement fins a des explosions d’aquarelle. Son style est très facilement reconnaissable, il suffit d’aller faire un tour sur son portfolio en ligne pour découvrir toutes ces images promotionnelles pour de grandes marques et s’écrier « mais oui je connais cette image! »

Un jour, cet artiste eut l’idée d’ajouter une dimension interactive a son univers visuel, et c’est ainsi qu’il fonda Nomada, un studio indépendant de jeux vidéo, avec deux anciens développeur de chez Ubisoft Barcelone. Le premier jeu de cette nouvelle équipe s’appelle Gris.

Gris raconte le voyage d’une jeune chanteuse à travers différents tableaux afin de retrouver sa voix qu’elle a perdu. La perte de sa capacité à chanter est vécue par ce personnage comme la perte des couleurs de son univers qui devient gris. Mais comme mentionné en début d’article, il s’agit ici d’une métaphore.

Gris raconte en réalité l’histoire du deuil de cette jeune femme qui a perdu un être cher, probablement sa mère qui représentée par une très grande statue de pierre qui se fracture en morceaux au début du jeu. L’aventure commence au creux des mains de cette figure maternelle juste avant que la chanteuse perde ce qu’elle a de plus précieux : sa voix.

Les différents tableaux que cette jeune femme va traverser symbolisent les différentes étapes du deuil : Déni, Colère, Marchandage, Dépression et Acceptation. Chaque zone du jeu va représenter d’une certaine manière ces étapes grâce à des thèmes visuels forts, certaines mécaniques de gameplay ou encore un accompagnement sonore particulièrement cohérent.

Durant son périple jusqu’à l’acceptation, le personnage va régulièrement être confronté à une entité noire, cauchemardesque et polymorphe. Cette créature va prendre différentes formes terrifiantes pour pourchasser l’héroïne. Cette nouvelle métaphore symbolise la peur et les doutes qu’il faut surmonter pour accepter son deuil.

Jusque-là, nous avons affaire à un jeu qui traite d’un thème extrêmement fort habilement caché sous des métaphores précises et pertinentes. Le tout est accompagné d’une direction artistique d’une richesse extraordinaire et d’un habillage sonore grandiose. Chaque animation du personnage est délicate et se marie merveilleusement bien avec les décors somptueux tout en aquarelle de Conrad Roset. De plus, les sons et les musiques sont discrets mais toujours très efficaces pour véhiculer exactement les émotions souhaitées par Nomada Studio, tantôt minimaliste, tantôt épiques, toujours justes.

Un coup de cœur absolu donc ? Si Gris avait été un film d’animation, j’aurais sans l’ombre d’une hésitation crié au génie. Cependant, Gris est avant tout un jeu vidéo.

Comme dans un jeu de plateforme 2D classique, le personnage peut avancer et sauter sur un plan et débloquer quelques capacités spéciales en progressant dans les tableaux. Cependant, le génie artistique de Conrad Roset ne se transcrit par réellement dans le Game Design de Gris. Le personnage va, par exemple, apprendre à transformer son corps en un gros cube lourd pour casser des structures fragiles. Il va également être capable de faire des doubles sauts, ce qui doit être une des compétences les plus exploitées dans les jeux de plateforme. Les puzzles de situation sont également très convenus et ne demandent pas de réels efforts à leur résolution.

Le jeu donne l’impression d’être une sorte de monde ouvert dont il faut explorer le moindre recoin grâce aux différentes compétence que l’on va débloquer, à l’image du très à la mode Metroïdvania. Mais la progression est complètement dirigiste et linéaire, et ce sentiment d’ouverture réside en réalité dans une structure du monde en forme de nœud. Le joueur revient toujours au centre de la boucle pour observer l’évolution de son univers couleur après couleur, mais il ne peut pas choisir d’y retourner à moins d’y être invité dans la progression.

Le jeu prend le parti de ne pas apporter de challenge particulier au joueur, même lors de phases stressantes comme les « affrontements » contre la créature métaphorique. Fondamentalement, le fait que le joueur ne puisse pas échouer n’est pas problématique, mais cela va fatalement désamorcer le sentiment d’urgence que provoquent généralement certaines situations.

Le tout reste néanmoins très agréable à parcourir grâce à des contrôles réactifs. Le fait que les mécaniques de gameplay soient très classiques permettent une appropriation rapide des contrôles pour rapidement se plonger dans cet univers en aquarelle.

Bouclée en 4h, j’ai trouvé que Gris est une aventure visuelle et sonore extraordinaire qui se contemple avec plaisir, mais qui ne se vit finalement que très peu à travers la manette.

 

Page de l’œuvre sur le site du studio

 

 

 

Une richesse visuelle et sonore absolument extraordinaire.

Une expérience qui peut se savourer d’une traite, si on prévoit un après-midi ou une soirée suffisamment longue.

 

Le Game Design convenu m’a déçu par son manque d’originalité.

L’ajout des succès et des trophées (même sur Switch) provoquent une rupture avec l’immersion quand ils apparaissent sur l’écran. De plus ils ajoutent des indices textuels sur l’interprétation du jeu et le fait de parcourir les différentes étapes du deuil qui sont servies au joueur sans lui laisser le temps de réfléchir pour arriver seul à ses conclusions.

Malgré un Game Design qui peine à surprendre et un level design relativement sommaire, Gris reste un jeu somptueux qui mérite d’être parcouru au moins pour sa richesse visuelle et sonore. Si le fond projet avait été aussi original dans sa conception que sa forme, alors j’aurais largement considéré Gris comme un chef d’œuvre absolu et il aurait figuré dans mes coups de cœur. Au lieu de ça, il figure dans les jeux dont j’ai beaucoup aimé l’expérience, mais que je ne recommanderai pas à n’importe qui. Conrad Roset a un univers graphique fascinant. J’ai vraiment très hâte de découvrir le prochain jeu du studio Nomada. Avec l’expérience qu’ils ont acquis grâce à leur premier jeu, ils ont toutes les raisons de créer une œuvre absolument bouleversante.

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