Devenir adulte ? ça me dit pas !
Du haut de mes 33 ans (au moment où j’écris ces lignes), je reste toujours très impressionné par ce qu’est un “adulte”. ou ce que c’est censé être. Je suis employé de bureau, j’habite dans un appartement avec ma compagne et mon chat, et pourtant je me sens souvent en décalage avec d’autres “adultes” de mon âge, qui investissent, qui se marient, qui ont des enfants, bref qui ont des activités de grandes personnes. Moi de mon côté, je me réjouis de rentrer pour lire des mangas, dessiner, jouer aux jeux vidéos (et surtout en créer !), classer des cartes Magic ou Pokemon, et bien sûr écrire des articles de blog.
Fondamentalement, mes centres d’intérêt, mes passions, n’ont pratiquement pas changé depuis plus de 20 ans. Je n’ai jamais eu l’impression qu’elles avaient le devoir d’évoluer. Évidemment, au travail, les sujets de discussion à la pause café ne sont pas vraiment les prochaines sorties de manga ou de jeux vidéo. Ce n’est pas un problème, de nature très sociable, je m’adapte très facilement, mais au fond ce n’est pas moi.
Est-ce un gigantesque syndrôme de Peter Pan ? Je n’en sais rien, je ne suis même pas sûr que ce syndrôme soit réellement pertinent. Personnellement, je pense qu’il faut simplement être en adéquation avec soi-même. Une citation est d’ailleurs devenu ma philosophie :
Ce n’est pas en vieillissant qu’on arrête de jouer, c’est en arrêtant de jouer qu’on vieillit. » - George Bernard Shaw
Moi, c’est généralement le dimanche soir que j’arrête de “jouer”, en attendant lundi. Ça tombe bien, c’est justement le nom du manga dont il est question ici.
L’un dit…
Mizutani est en décalage avec son entourage, elle a l’impression que tout le monde “grandit” alors qu’elle a gardé une âme d’enfant. Elle aime jouer, courir, réagir spontanément. Contrairement à elle, sa sœur est une étudiante modèle qui grandit correctement, de la manière dont la société - et ses parents en première ligne - l’encouragent à le faire.
Mizutani n’a vraiment pas fini de s’amuser. Pour elle, ren ne vaut un week-end pour se défouler et faire ce dont elle a envie. Mais tout comme le beau temps vient toujours après la pluie, le lundi vient toujours après le week-end, c’est inexorable. C’est d’ailleurs bien connu, le lundi matin est officiellement le moment de la semaine le plus difficile pour une grande partie de la société. Le réveil sonne et marque le retour à l’école ou au travail. On ne l’attend pas souvent le lundi.
Un jour, elle rencontre le discret Tsukino, un garçon de son âge qui va dans la même école qu’elle. Malgré quelques échanges compliqués, les deux collégiens deviennent amis. Tsukino lui propose de se retrouver secrètement les lundis soir sur le toit du collège pour s’amuser. Il est persuadé d’avoir des pouvoirs magiques, et il pense que Mizutani a le don de pouvoir l’aider à les développer. A partir de ce moment, la vie de Mizutani reprend des couleurs, au milieu de cette école en béton gris, sous le ciel noir de la nuit, loin de toutes ces personnes qui grandissent. Mais fréquenter ce garçon de manière interdite et confidentielle provoque également chez elles des émotions nouvelles, des émotions “d’adulte” ?
La relation qu’ils entretiennent est très particulière. Tsukino est catégorique sur ce point : durant la semaine, ils doivent faire comme s’ils se connaissaient à peine. Le contraste est fort et l’attente du lundi prochain en devient de plus en plus intense chez Mizutani qui se réjouit de passer une soirée avec “le Tsukino du lundi soir”, celui qui est coloré par l'enthousiasme de se retrouver pour s’amuser.
On fait un jeu, dit ?
En Attendant Lundi est une série en deux tomes dont le premier est sorti le 21 octobre 2021 aux éditions Akata. Il s’agit de la première œuvre de l’auteur, Tomomi Abe, à être publiée en français. Créant des histoires de type tranche-de-vie avec une touche de fantaisie, l’auteur est présenté comme un artiste marchant sur les pas d’Inio Asano, génie de la mise en scène (auteur de Bonne Nuit Punpun entre autres). Son œuvre est une source d’inspiration pour beaucoup, et la comparaison est effectivement flatteuse pour l’auteur de En Attendant Lundi.
Visuellement, le trait de Tomomi Abe ne plaira pas à tout le monde. Malgré des décors plutôt riches en détails, les personnages ont des traits simplistes. Ils sont très expressifs, mais leur aspect particulier peut être déroutant. Là où l’auteur brille, c’est dans sa sensibilité de graphiste. Il sait jouer avec la grammaire visuelle des formes et des applats de couleur pour créer des planches au contraste saisissant, parsemées de métaphores visuelles. C’est un plaisir de parcourir les différentes cases pour y observer les petites idées graphiques qui viennent ponctuer les planches d’un excellent grain de folie artistique. Qu’il s’agisse d’un reflet dans les yeux d’un personnage, où de l’ombre projetée d’un store vénitien, l’auteur parvient toujours à apporter une touche originale et très graphique à ses compositions, c’est très impressionnant !
Des compositions truffées de bonnes idées graphiques
Un propos qui fait mouche chez moi
Une lecture légère et agréable
Un trait simpliste et un aspect particulier des personnage qui peut rebuter
Je regrette presque que ce ne soit pas un manga en couleur, le contraste entre le grisâtre de la société et les couleurs du lundi soir auraient pu offrir une dimension supplémentaire au concept, comme sur la couverture que je trouve très réussie.
Véritable trip graphique, En Attendant Lundi est une expérience courte mais intense. En tant que graphiste de 33 ans ne souhaitant pas grandir, je me sens parfaitement ciblé par cette œuvre tant par son message que par son visuel. Sans crier au génie pour le moment, Tomomi Abe est un auteur à surveiller de prêt, car son style unique qui épouse parfaitement l'originalité de sa narration offre une expérience à part, et agréable à lire. Je me réjouis de lire la seconde moitié de cette histoire dès le 6 janvier 2022.